CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DOUZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 21 juillet 2004.
DEPOSE
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES, DE L’ENVIRONNEMENT
ET DU TERRITOIRE
ET PRESENTE PAR M. JACQUES LE GUEN,
Rapporteur,
en conclusion des travaux d’une mission d’information présidée par
M. LEONCE DEPREZ,
et composée en outre de Mme Arlette FRANCO et de MM. Jacques BASCOU, Jean-Yves BESSELAT, Maxime BONO, Roland CHASSAIN, Jean-Michel COUVE, Christian JEANJEAN, Jean LASSALLE, Edouard LEVEAU, Daniel PAUL et Jean-Sébastien VIALATTE,
Député(e)s.
SOMMAIRE
MESDAMES, MESSIEURS
En l’espace de quelques siècles, la perception du littoral a radicalement changé. Ainsi, jusqu’à la fin du XVIIIème siècle, alors même que le mot de littoral
n’existe pas (1), le rivage est entouré d’images répulsives : comme le rappelle Yves Luginbülh, « le littoral est un lieu d’horreur, c’est le lieu du déluge, le contraire du calme et de la tranquillité, c’est le bord du gouffre, des abysses, c’est le lieu des apparitions des monstres de la mer, c’est le lieu du rejet des excréments de la mer, le lieu des rapts, des pirates, c’est le lieu de l’antihygiénisme qui se manifeste à travers les récits des marins dans le mal de mer, les épidémies dans les navires » (2).
Du point de vue juridique, les textes relatifs au littoral sont rares : l’édit du 30 juin 1539 affirme le caractère inaliénable du domaine royal, y compris des rivages de la mer, principe ensuite réaffirmé par le fameux édit de Moulins de février 1566. Près d’un siècle et demi plus tard, l’ordonnance de Colbert de 1681 sur la Marine, toujours en partie appliquée, définit le rivage « comme tout ce que la mer couvre et découvre pendant les nouvelles et pleines lunes, et jusqu’où le plus grand flot de mars se peut étendre sur les grèves ». Cette ordonnance énonce également, dans l’article 2 du titre VII relatif au rivage de la mer, ce que l’on peut considérer comme le premier principe d’inconstructibilité du rivage : « Faisons défense à toutes personnes de bâtir sur les rivages de la mer, d’y planter aucun pieu, ni faire aucun ouvrage, qui puissent porter préjudice à la navigation à peine de démolition des ouvrages, de confiscation des matériaux et d’amende arbitraire ».
C’est principalement au XIXème siècle que s’opère un changement de la perception du rivage. Le courant romantique s’éprend de sa beauté sauvage, notamment à travers les descriptions des grands explorateurs, tandis que l’hygiénisme qui se développe depuis la Renaissance recommande de plus en plus les bains de mer.
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Près de trois siècles après l’ordonnance de Colbert, qu’en est-il aujourd’hui de notre littoral ? Chacun s’accorde à reconnaître que les 5 500 kilomètres qui le composent font l’objet d’une convoitise certaine, entraînant des conflits d’usage que le droit est venu naturellement réglementer.
Rappelons qu’un français sur dix vit aujourd’hui dans une commune riveraine de la mer ou de l’océan, et ces résidents sont rejoints, durant la période estivale, par une large moitié des touristes nationaux comme étrangers. Ce développement du tourisme doit être compatible avec celui des activités traditionnellement liées à la mer, comme par exemple la pêche, l’ostréiculture ou encore l’agriculture. En conséquence de ces usages multiples de la mer, le littoral a littéralement été « saisi par le droit » selon l’expression de Loïc Prieur (1.
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Ce phénomène a commencé à se faire sentir dès la fin des années 50, lorsque le gouvernement a prévu l’institution de périmètres sensibles pour préserver le caractère du littoral Provence-Côte d’Azur, dispositif qui sera ensuite étendu à l’ensemble du littoral français. Le véritable tournant intervient ensuite au cours des années 1970, sous l’impulsion du Gouvernement et du juge administratif.
Ainsi, dans un arrêt Schwetzoff du 30 mars 1973, le Conseil d’Etat a cherché à mettre un frein à la multiplication des marinas et des ports, souvent prétextes à la construction d’ensembles immobiliers, en décidant que les travaux sur le domaine public maritime doivent être compatibles avec les dispositions des documents d’urbanisme.
En outre, dans l’arrêt Kreitmann du 12 octobre 1973, la Haute juridiction a modifié légèrement la définition du rivage issue de l’ordonnance de Colbert. Elle rend, en premier lieu, les dispositions de l’ordonnance applicables à l’ensemble du rivage français, alors que le rivage méditerranéen était jusqu’alors régi par des textes de droit romain codifiés sous l’empereur Justinien. En outre, le Conseil d’Etat n’a retenu de l’ordonnance de Colbert que le principe selon lequel le rivage est constitué par ce que la mer couvre et découvre, en écartant la référence plus aléatoire au plus grand flot du mois de mars, ce qui a permis de préciser la définition juridique du rivage.
Ensuite, le rapport annuel de la Cour des comptes de 1972 a analysé les dérives liées à l’octroi trop fréquent de concessions d’endigage translatives de
(1) Loïc Prieur, La Loi Littoral, octobre 2002, p.11.
propriété. En conséquence, le gouvernement a restreint, par la circulaire du 3 janvier 1973 relative à l’utilisation du domaine public maritime en dehors des ports de commerce et de pêche, les possibilités d’appropriation du rivage de la mer par concession d’endigage.
Enfin, le comité interministériel d’aménagement du territoire du 13 mai 1971 a décidé la création d’un groupe d’étude chargé de rédiger un rapport sur les perspectives à long terme du littoral français, qui aboutira au « rapport Piquard », en novembre 1973, posant les fondements de la politique d’aménagement du littoral. Ce rapport, considéré à juste titre par beaucoup de spécialistes comme fondateur en matière de politique du littoral, est à l’origine de l’instruction du 4 août 1976 concernant la protection et l’aménagement du littoral et des rivages des grands lacs, ainsi que de la directive d’aménagement national du 25 août 1979, posant les grands principes de la protection du littoral comme la préservation d’une bande littorale des 100 mètres.
Sur la base de ces quelques éléments juridiques s’est développé, jusqu’à aujourd’hui, un droit du littoral très complexe et très touffu, résultant de dispositions de droit interne législatives et réglementaires, mais aussi de droit international à travers les directives communautaires mais aussi certaines conventions internationales.
Le droit du littoral est en outre un droit difficile à appliquer, principalement parce qu’il est constitué de spécialités différentes comme le droit de l’urbanisme, le droit de l’environnement ou le droit administratif. Il est par ailleurs fortement influencé par des considérations politiques liées à l’aménagement du territoire. Or, s’il apparaît évident pour les élus locaux que la politique d’aménagement du territoire ne peut être formulée qu’en termes indicatifs et souples, il semble que cette nécessité soit source d’incompréhension de la part des praticiens du droit – juges, avocats, enseignants – qui estiment souvent que le droit du littoral est un droit imprécis.
Pour de nombreux spécialistes auditionnés par la mission, le droit de l’espace littoral est en effet original, dans la mesure où il s’agit d’un droit largement indicatif, un droit flexible et élastique qui dessine, au niveau législatif, des orientations générales devant trouver au niveau local des applications précises. Il repose donc sur un certain nombre de dispositifs de planification spatiale, qui ont été multipliés au cours des deux dernières décennies. Ainsi, la directive du 25 août 1979 prévoyait la généralisation des documents d’urbanisme, en imposant aux communes, dans un délai de 4 ans, de disposer de documents conformes à ses prescriptions.
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Ultérieurement, la loi du 4 février 1995, dite « loi Pasqua » (1, a institué les directives territoriales d’aménagement dont l’objet est de préciser les grands choix d’aménagement de l’Etat. En outre, la loi Solidarité et renouvellement
(1) Loi n° 95-115 du 4 février 1995 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire, JORF du 5 février 1995.
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urbain (SRU) du 13 décembre 2000 (1 a fortement incité, sur le littoral, à l’adoption des schémas de cohérence territoriale (SCOT), en disposant que, dans les communes situées à moins de 15 kilomètres du rivage de la mer, les zones naturelles et les zones d’urbanisation future délimités par les plans locaux d’urbanisme ne peuvent pas être ouvertes à l’urbanisation en l’absence de SCOT.
De plus, la loi du 25 juin 1999 pour l’aménagement et le développement
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durable du territoire (2 a remplacé le schéma national d’aménagement du territoire prévu par la loi Pasqua par neuf schémas de services collectifs, parmi lesquels le schéma des espaces naturels et ruraux qui comporte un chapitre « Mer et littoral » destiné à promouvoir une gestion intégrée du littoral.
A ces dispositifs applicables sur l’ensemble du territoire national, il faut en outre ajouter certains outils de planification territoriale spécifiques au littoral, tels que les schémas d’aptitude et d’utilisation de la mer remplacés par les schémas de mise en valeur de la mer par la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983.
La superposition des différents types de normes et des différents dispositifs de planification spatiale a donc contribué à faire du droit du littoral un
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domaine complexe, que certains qualifient même de « construction baroque » (3.
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La loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral, dite « Loi Littoral » est un élément important de ce domaine complexe. Certains diront qu’elle contribue à cette complexité, mais votre rapporteur est plutôt d’avis qu’elle est l’un des exemples les plus explicites d’un nouveau type de normes législatives, particulièrement fréquent dans le domaine de la protection de l’environnement et du développement durable, se limitant à énoncer certains principes, comme la préservation des espaces proches du rivage ou des espaces remarquables, devant ensuite trouver une application locale précise par le biais de l’élaboration des documents de planification spatiale à laquelle les élus locaux et les populations doivent être associés.
Du moins était-ce là l’intention originelle du législateur ; votre rapporteur, de nombreux membres de la mission, ainsi que la majorité des personnes auditionnées par cette mission estiment aujourd’hui que l’application de la Loi Littoral connaît certaines dérives, préjudiciables principalement aux habitants de ces espaces mais aussi à leurs élus. Alors que cette loi devait être une loi de protection et de mise en valeur permettant aux communes, aux établissements publics de coopération intercommunale, aux départements et aux régions de prendre en main la gestion de leur territoire littoral, elle est principalement
devenue un instrument de gestion de l’urbanisme aux mains de l’administration et des juges.
Cette situation n’est d’ailleurs pas spécifique au littoral, puisque de nombreux députés se sont également inquiétés des mêmes dérives concernant la loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne. Rappelons que la loi montagne et la Loi Littoral formaient la catégorie des lois d’aménagement et d’urbanisme, abrogée par la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbain, destinées à dessiner les grands principes de l’aménagement dans les zones sensibles que sont la montagne et le littoral.
Pour trouver des solutions aux difficultés engendrées par ces deux lois, le président de la Commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire, M. Patrick Ollier a permis la création de deux missions d’information relatives à chacun de ces espaces.
La mission relative à la loi montagne, présidée par M. François Brottes avec pour rapporteur M. Yves Coussain, a rendu son rapport en juillet 2003 sous
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le titre « Pour une montagne respectée prenant son destin en main » (1. Votre rapporteur tient à féliciter M. Yves Coussain pour la qualité de son rapport, qui examine toutes les adaptations envisageables du droit applicable dans les zones de montagne. L’objectif de la mission était clairement d’apporter certaines solutions de bon sens en matière d’urbanisme, mais surtout de trouver les moyens d’apporter un soutien concret aux différentes activités en zone de montagne, d’adapter les institutions déterminant la politique de la montagne, et de valoriser les atouts de la montagne.
L’approche qui a été retenue par notre mission est sensiblement différente. En effet, il apparaît hasardeux de vouloir, par la loi, valoriser les atouts du territoire littoral, tant il apparaît évident que ces zones connaissent, principalement du fait du tourisme, un développement économique important soutenu par les investisseurs privés. En revanche, les conflits d’usage, et les problèmes relatifs à l’urbanisation, sont plus importants sur le littoral que dans les zones de montagne, et finissent par constituer un véritable frein au développement de cette partie de notre territoire.
La mission s’est donc limitée à un champ d’investigation restreint aux problèmes relatifs à l’urbanisme et à l’aménagement du territoire littoral. Chacun des députés composant la mission peut en effet témoigner des innombrables cas dans lesquels, sur le terrain, la Loi Littoral entraîne des blocages et des impasses juridiques.
(1) « Pour une montagne respectée prenant son destin en main. Mission d’information sur les adaptations envisageables du droit applicable dans les zones de montagne », rapport d’information AN n°1040, 16 juillet 2003.
Pour autant, l’objectif de la mission n’est pas de remettre en cause la Loi Littoral. Chacun s’accorde à penser que les dispositions relatives à l’urbanisme sont une avancée incontestable de notre droit pour la protection des côtes françaises, permettant d’éviter l’urbanisation sauvage du littoral que l’on peut constater, par exemple, sur certaines côtes espagnoles.
Mais il apparaît de plus en plus nécessaire de prendre en compte, dans l’application de ces dispositions, la diversité des situations et des littoraux français. En effet, il n’apparaît pas normal aujourd’hui que les dispositions de cette loi s’appliquent de la même manière dans le Var, où les zones urbanisées occupent déjà une large part de l’espace littoral, et dans la Manche ou sur la côte atlantique où ce littoral est encore préservé.
La presse est pourtant parfois très encline à dénoncer les attaques des parlementaires contre les lois montagne et littoral, parées à leurs yeux de toutes les
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vertus protectrices(1. Certains documentaires télévisés abordant le sujet de la Loi Littoral contribuent même à discréditer les élus locaux, en faisant croire que ceux-ci seraient prêts à sacrifier leur littoral au profit du développement économique. Certains juges ont enfin décidé, par articles de presse interposés, de suggérer à la mission qu’il était urgent de ne rien faire, avant même que celle-ci n’ait formulé ses propositions.
A l’heure de la décentralisation, tous les élus, qu’ils soient de la majorité ou de l’opposition, sont indignés par une telle présentation de la réalité. Si une mission d’information relative à l’application de la Loi Littoral a été créée pour analyser les problèmes juridiques que peut poser cette loi, ce n’est évidemment pas pour contribuer à bétonner davantage le littoral ; les élus locaux sont en effet, autant que leurs concitoyens, conscients de la nécessité de le préserver, afin d’assurer un développement durable de leur région.
Par contre, les élus locaux, qui ont transmis à la mission un courrier abondant, doivent vivre au quotidien des cas où l’application de cette loi aboutit à des situations iniques, où le travail de plusieurs années entre le préfet de département et les communes est ruiné par une décision imprévisible, où des citoyens se trouvent dans la détresse à cause d’un permis de construire retiré.
Les travaux de cette mission ont donc pour objet de contribuer à sécuriser l’application de la Loi Littoral, d’éviter un contentieux pléthorique tout en rappelant l’esprit dans lequel cette loi a été votée, de permettre en définitive au citoyen, qu’il soit résident, investisseur ou agriculteur, de comprendre dans quel sens sera appliquée la loi sans attendre une décision contentieuse, par définition longue à obtenir et coûteuse.
Afin de montrer les cas concrets auxquels la mission voudrait apporter une solution, votre rapporteur a entrepris, grâce au courrier important qui a été
(1) Ainsi, un article du Monde du samedi 31 mai titrait « les lois montagne et littoral mises à mal par les parlementaires ».
transmis à la mission, de mettre en exergue un certain nombre d’exemples d’applications incompréhensibles de cette loi, un « bêtisier » en somme, qui pourrait servir, pour tout un chacun, de point de départ guidant la réflexion sur les réformes nécessaires de cette loi.
Cas n° 1 : L’incendie des cabanons des calanques de Marseille.
L’article L. 146-4-III du code de l’urbanisme, issu de l’article 3 de la Loi Littoral, interdit toute construction ou installation sur une bande littorale de 100 mètres. En jugeant que cette disposition signifiait également qu’était interdite toute reconstruction d’un bâtiment, même en cas de sinistre lié par exemple à un incendie, la Cour d’appel de Nantes a mis tous les propriétaires d’un bâtiment dans la bande des 100 mètres en sursis, à la merci d’un incendie.
Ce cas est d’ailleurs arrivé dans le sud de la France, puisque le grand incendie survenu il y a quelques années dans les calanques de Marseille a également réduit en cendre les fameux cabanons en bois qui se trouvaient dans certaines d’entre elles. Le maire de Marseille et le préfet ont été contraints de fermer les yeux pendant 48 heures, après avoir évacué par la mer ses habitants, afin de trouver une solution peu juridique mais plus humaine permettant aux propriétaires de reconstruire leurs cabanons. Ce cas précis illustre le fait que l’application de la Loi Littoral, faute d’être suffisamment réaliste, nécessite une certaine tolérance administrative.
Cas n° 2 : L’interdiction de l’extension du cimetière du Lavandou
La commune du Lavandou a réservé, dans son plan d’occupation des sols, un espace destiné à agrandir son cimetière situé dans un espace remarquable tel que défini par l’article L. 146-6 du code de l’urbanisme. Ce cimetière était en effet devenu trop petit pour accueillir les défunts de la commune. Par un jugement rendu le 15 juin 2000 par le tribunal administratif de Nice (Association de défense de Bormes et du Lavandou et société résidence de Cavalaire contre commune du Lavandou), le juge a estimé que cette extension ne pouvait pas être considérée comme un aménagement léger compatible avec l’article L. 146-6 du code de l’urbanisme. Le maire n’a alors eu d’autre choix que de conseiller à ses administrés d’aller mourir dans les communes limitrophes.
Cas n° 3 : La mise aux normes d’une installation agricole
Dans un espace proche du rivage d’une commune du Finistère, un agriculteur de 27 ans reprend l’exploitation de son père. Cette exploitation a été partiellement délocalisée hors des zones habitées en 1979 et 1992, mais comprend encore deux bâtiments destinés à un élevage porcin à proximité des habitations. Afin de se mettre en conformité avec la réglementation existante, ce jeune éleveur envisage la construction de deux nouveaux bâtiments dans la partie de son exploitation située à l’extérieur du bourg, afin d’y déplacer cet élevage porcin.
Le permis de construire a cependant été annulé au motif que la construction projetée se trouve en discontinuité avec le village existant, ce qui est interdit par l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme. Le jeune agriculteur est donc mis dans l’impossibilité de mettre son exploitation en conformité avec les normes sanitaires applicables aux élevages porcins. Cet exemple illustre particulièrement les difficultés que peut soulever l’application de la Loi Littoral pour le maintien et le développement des activités agricoles dans les zones littorales.
Cas n° 4 : Un espace totalement artificiel qualifié de naturel dans la ville du Touquet
Le plan local d’urbanisme en cours d’élaboration dans la ville du Touquet avait prévu de valoriser l’ancien terrain de camping de la Canche en le transformant en plan d’eau faisant fonction de futur port de plaisance. Ce projet a néanmoins été annulé, au motif que l’espace en cause peut être qualifié de naturel.
Le maire de cette ville ne comprend absolument pas que cet espace puisse être qualifié de naturel, alors qu’il a été totalement nivelé durant la deuxième guerre mondiale, dans le cadre de l’édification du mur de l’Atlantique. En outre, ce terrain a été utilisé comme terrain de camping durant plus d’une vingtaine d’années jusqu’en 1997. Il est en outre protégé des flots de manière artificielle par des enrochements et une voirie communale, et est actuellement occupé par des gens du voyage.
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Ces différents cas montrent à l’évidence qu’il est nécessaire, aujourd’hui, que la représentation nationale tente d’analyser les origines de ces applications incompréhensibles de la Loi Littoral, afin de proposer certaines pistes de réforme.
A cet effet, la mission d’information, dont le présent rapport synthétise les travaux, a été constituée le mardi 24 juin 2003. Outre son président M. Léonce Deprez et son rapporteur M. Jacques Le Guen, cette mission d’information se compose de MM. Jean-Sébastien Vialatte, Jean-Michel Couve, Christian Jeanjean, Edouard Leveau, Roland Chassain, Jean-Yves Besselat et Mme Arlette Franco pour le groupe UMP, de MM. Maxime Bono et Jacques Bascou pour le groupe socialiste, de M. Jean Lassale pour le groupe UDF et de M. Daniel Paul pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.
Au cours de ses travaux, la mission d’information a procédé à une trentaine d’auditions, afin de recueillir l’avis et les propositions du ministre de l’écologie et du développement durable, du secrétaire d’Etat aux transports et à la mer, de représentants qualifiés de l’administration (ministère de l’Équipement, DATAR), de juristes spécialisés (avocats, juges et enseignants), de représentants des professions concernées par la Loi Littoral (agriculteurs, fédération des ports de plaisance) et d’associations locales.
La mission a en outre évité de procéder à certaines auditions organisées parallèlement par le groupe d’études de l’Assemblée nationale portant sur les questions liées au littoral, mais de nombreuses auditions de ce groupe, dont le président de notre mission d’information est également membre, ont permis d’étayer le présent rapport. La liste complète des auditions est indiquée à la fin du présent rapport.
PRESENTATION SYNTHETIQUE DES PRINCIPALES DISPOSITIONS DE LA LOI N° 86-2 DU 3 JANVIER 1986 RELATIVE A L’AMENAGEMENT, LA PROTECTION ET LA MISE EN VALEUR DU LITTORAL
ARTICLE DE LA LOI LITTORAL ET | DISPOSITION RESUMEE |
ARTICLE CODIFIE CORRESPONDANT | |
Article L. 321-1 du code de l’environnement (article 1er de la Loi Littoral) | – Enoncé des principes d’aménagement et de protection nécessaires au littoral, impliquant une coordination des actions de l’Etat et des collectivités locales. |
Article L. 321-2 du code de | – Définition des communes littorales. |
l’environnement (article 2 de la Loi Littoral) | |
Article L. 146-1 du code de l’urbanisme (article 3 de la Loi Littoral) | – Définition du champ d’application des dispositions de la Loi Littoral, et du rôle des DTA pour les préciser. |
Article L. 146-2 du code de l’urbanisme (article 3 de la Loi Littoral) | – Définition de la capacité d’accueil des espaces urbanisés ou à urbaniser. |
– Obligation de prévoir des coupures d’urbanisation dans les PLU ou les SCOT. | |
Article L. 146-4 du code de l’urbanisme (article 3 de la Loi Littoral) | – Énoncé des principales restrictions à l’urbanisation des zones littorales. |
* 1er paragraphe de l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme | Sur tout le territoire des communes littorales : – Principe de l’extension de l’urbanisation en continuité avec les constructions existantes ou sous forme de hameaux nouveaux intégrés à l’environnement. – Dérogation possible pour les installations agricoles incompatibles avec le voisinage des habitations. |
* 2ème paragraphe de l’article L. 1464 du code de l’urbanisme | Dans les espaces proches du rivage: – Principe de l’extension limitée de l’urbanisation, à justifier et motiver dans le PLU en fonction des nécessités locales. – Dérogation en présence d’un SCOT, d’un schéma d’aménagement régional ou d’un SMVM. – En l’absence de ces documents, dérogation possible avec l’accord du préfet de département. |
* 3ème paragraphe de l’article L. 1464 du code de l’urbanisme | Dans la bande des 100 mètres : – Principe de l’interdiction de toute construction en dehors des espaces déjà urbanisés. |
– Dérogation pour les installations nécessaires à des services publics ou à des activités exigeant la proximité immédiate de l’eau | |
* 4ème paragraphe de l’article L. 1464 du code de l’urbanisme | – Application des dispositions des 2ème et 3ème paragraphes aux rives des estuaires les plus importants. |
Article L. 146-5 du code de l’urbanisme (article 3 de la Loi Littoral) | – Obligation de prévoir des secteurs dans le PLU pour créer des terrains de camping ou de stationnement de caravanes. – Ces créations respectent le principe de l’extension limitée de l’urbanisation et ne peuvent être situées dans la bande des 100 mètres |
Article L. 146-6 du code de l’urbanisme (article 3 de la Loi Littoral) | Dans les espaces remarquables : – Principe de la préservation de ces espaces par les documents d’urbanisme. – Dérogation pour les aménagements légers nécessaires à leur gestion ou leur mise en valeur. |
Article L. 146-6-1 du code de l’urbanisme (article 3 de la Loi Littoral) | Sur une plage ou un espace naturel qui en est proche : – Possibilité d’établir un schéma d’aménagement pour réduire les conséquences environnementales d’équipements établis avant l’entrée en vigueur de la Loi Littoral. |
Article L. 146-7 du code de l’urbanisme (article 3 de la Loi Littoral) | Dispositions régissant la construction de nouvelles routes : – Interdiction de construire une route de transit à moins de 2 km du rivage ; – Interdiction de nouvelles routes sur les plages ou dunes, sur ou le long du rivage ; – Possibilité de construire une route dans la bande des 100 mètres si elle est nécessaire à un service public ou à une activité économique exigeant la proximité immédiate de l’eau. |
Article L. 146-8 du code de l’urbanisme (article 3 de la Loi Littoral) | Dérogations générales à ces restrictions d’urbanisation : – Installations liées à la sécurité maritime, aérienne et civile, la défense, aux services publics portuaires ; – Exceptionnellement, les stations d’épuration avec rejet en mer. |
Avant d’envisager toute analyse des difficultés liées à l’application de la Loi Littoral, votre rapporteur estime qu’il est nécessaire de partir de la réalité du littoral français d’aujourd’hui. On peut en effet trop souvent lire des constats partiellement faux de cette situation, selon lesquels le littoral français dans son ensemble connaîtrait un dynamisme économique florissant, créant ainsi une pression démographique importante, en conséquence de quoi la pression foncière serait considérable.
Or, si cette situation est effectivement vraie sur une partie du littoral français, particulièrement sur le littoral méditerranéen, ce n’est pas nécessairement le cas sur le reste du linéaire côtier. Votre rapporteur estime qu’il est important de bien comprendre l’hétérogénéité du littoral français aujourd’hui, faute de quoi l’on risque de passer à côté de la majeure partie des problèmes liés à l’application de la Loi Littoral. En effet, il apparaît évident que la même norme ne peut pas s’appliquer de la même manière à Canne ou à Nice, dont l’activité économique et touristique est très importante, ou sur le littoral breton qui est encore largement préservé, mais
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dont les activités économiques méritent d’être soutenues (1.
1. Le développement économique et la pression démographique du littoral : une réalité nuancée à prendre en compte
a) Le développement du tourisme sur le littoral ne doit pas conduire à négliger les autres secteurs économiques
Selon le rapport de l’Institut français de l’environnement (IFEN) consacré à l’environnement en France en 2002, « plus que jamais, l’avenir du littoral est lié à celui du tourisme, qui représente le premier secteur d’activité marchand lié à la mer ». Son poids économique est en effet à peu près aussi élevé que l’ensemble des autres activités économiques liées à la mer (pêche, industrie nautique, transport maritime et activité portuaire). Ainsi, selon les estimations de l’IFREMER, le tourisme littoral représente 8,1 milliards d’euros de valeur ajoutée en 2001, soit 44 % de la valeur ajoutée maritime.
Le tourisme représente par conséquent une part essentielle du développement économique du littoral ; néanmoins, cette prépondérance ne doit
(1) Selon les informations fournies à votre rapporteur, la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (DATAR) est sur le point de publier un rapport consacré à la politique en faveur du littoral, dressant un tableau très complet de la situation démographique et économique de ces zones. Votre rapporteur se limitera par conséquent à une analyse rapide dans ce domain.
pas conduire à exclure de l’espace littoral d’autres activités qui sont également essentielles pour l’équilibre du littoral en tant qu’espace de vie. De nombreux spécialistes du littoral que la mission a auditionnés ont en effet noté que le tourisme peut également être une activité déstabilisatrice pour un territoire, lorsqu’il est concentré sur une période très courte. En effet, les villes littorales risquent de se transformer en villes-fantômes dès que le mois d’août s’achève, habitées durant la période estivale par des travailleurs saisonniers contraints de rejoindre les zones touristiques hivernales dès l’automne. Le tourisme représente donc une opportunité pour le littoral à condition d’être étalé sur plusieurs mois, conformément à la notion de « tourisme tout au long de l’année » développée par M. Léonce Deprez, président de notre mission, dans son ouvrage « Une vraie politique d’économie touristique pour la France » paru en 1995. A cet égard, certaines dispositions de la Loi Littoral relatives aux concessions de la plage, obligeant les propriétaires à démonter certains bâtiments installés sur le domaine public maritime après six mois d’occupation, vont à l’encontre de cet étalement dans le temps de l’économie touristique.
La présence d’autres activités sur les territoires littoraux est également essentielle pour l’équilibre économique de ces régions, ne serait-ce que parce que le tourisme, fortement dépendant de la conjoncture économique, peut enregistrer des fluctuations importantes et déstabilisatrices pour les régions littorales.
Comme l’a noté M. Nicolas Jacquet, délégué à l’aménagement du territoire et à l’action régionale, lors de son audition par le groupe d’étude de l’Assemblée nationale consacré au littoral, les activités maritimes traditionnelles, telles que la pêche, la conchyliculture et les activités portuaires, sont moins structurantes que par le passé, mais elles continuent de donner une identité aux populations du littoral, et jouent un rôle fondamental dans la préservation des espaces.
Le constat de la perte de l’identité littorale a d’ailleurs été dressé avec une pointe d’inquiétude par de nombreux élus. Ainsi, le Conseil national de l’aménagement et du développement du territoire note, en préambule de son rapport destiné à proposer 10 mesures pour refonder la politique publique du littoral, que l’inquiétante disparition de l’identité littorale tient aux deux éléments suivants :
Il revient aux élus de défendre cette authenticité du littoral français, faute de quoi celui-ci risquera de perdre son attrait et de se vider de ses populations d’origine. Cette mission leur revient d’autant plus naturellement que ni l’administration, ni les juges ne peuvent se faire les promoteurs d’une telle politique, dans leur souci légitime mais restrictif d’appliquer strictement la Loi Littoral.
Le même constat peut être fait au sujet de l’agriculture littorale, qui reste très présente et très structurante dans le paysage de nombreuses régions littorales. Selon les chiffres fournis par l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA) lors de leur audition par la mission d’information, l’agriculture, occupant 45 % de l’espace littoral, soit 723 000 hectares, constituait en 1999 la première forme d’utilisation de l’espace littoral. Il s’agit principalement de polyculture, d’élevage, de maraîchage et d’activités liées à la présence d’eau salée. Parfois, ces activités constituent une part importante de l’activité de certains territoires littoraux, comme par exemple l’élevage des fameux agneaux de prés salés en Normandie, ou la culture de la fraise de Plougastel-Daoulas dans la rade de Brest. Selon l’APCA, l’agriculture en zone littorale souffre énormément de l’application rigide des dispositions de la Loi Littoral ; en effet, des activités telles que les cultures ou l’élevage nécessitent souvent des locaux techniques, tels que de nouveaux bâtiments d’exploitation qui sont interdits par la Loi Littoral. Les agriculteurs n’ont, par conséquent, bien souvent d’autres choix que d’abandonner leurs exploitations en zone littorale.
Enfin, le littoral français est relativement riche en activités industrielles. La plupart sont liées à la mer, comme les industries nautiques, secteur dans lequel la France est en pointe au niveau mondial, les constructions navales et l’océanographie. Lors de son audition, M. Nicolas Jacquet a cité l’exemple particulièrement probant du pôle industriel lié aux activités sportives de glisse, installé entre Biarritz et Bayonne, qui commence à représenter une part importante de la valeur ajoutée de cette région, ou encore le technopôle de Sofia-Antipolis, dont la compétitivité semble être menacée par l’épuisement des terrains constructibles entraînant une augmentation inexorable de leur prix, très dissuasive pour l’installation de nouvelles entreprises.
Il faut donc nuancer l’appréciation portée sur le développement économique des zones littorales. Il importe que la Représentation nationale garde à l’esprit, dans un souci de développement durable des territoires littoraux, la nécessité de favoriser toutes les activités qui s’y trouvent, sans les rendre dépendants d’une mono-activité touristique, ce qui serait dangereux pour l’équilibre économique et social de ces territoires.
On le sait, le littoral français est, durant la période estivale, littéralement pris d’assaut par des vacanciers venant de toute l’Europe. Selon les estimations de l’IFEN, la population du littoral français augmente de plus de 70 % pendant le seul mois d’août, sachant par ailleurs que cet accroissement est encore bien plus important dans le Var ou la Charente-maritime.
– Une pression démographique importante sur l’ensemble du littoral
Selon les chiffres fournis par la DATAR, le littoral a absorbé 25 % de la croissance de la population française, soit 2 millions d’habitants sur 8, entre 1936 et 1968. Entre 1968 et 1999, la population des communes littorales métropolitaines a continué à croître à un rythme plus rapide que la moyenne nationale, avec un taux de croissance de 20 % contre 18 % au niveau national. Enfin, entre 1990 et 1999, les communes littorales ont vu leur population croître de 5,7 % contre 3,6 % au niveau national, soit 200 000 habitants de plus en métropole et autant dans les départements d’Outre-mer. Le taux d’augmentation est donc moins fort que durant les périodes précédentes, mais reste important pour un espace qui représente 4 % du territoire métropolitain.
Le littoral français se caractérise en outre par une densité très forte sur l’ensemble du littoral en métropole comme en Outre-mer. Avec 272 habitants par kilomètre carré, la densité dans les communes littorales métropolitaines est très largement supérieure à la moyenne nationale, qui s’établit à 108 habitants par kilomètre carré. Dans les départements d’Outre-mer, cette densité approche même les 300 habitants par kilomètre carré. Localement, ces chiffres peuvent s’élever à 2 500 habitants par kilomètre carré, dans certaines parties du littoral des Alpes-Maritimes, ou à près de 800 habitants par kilomètre carré dans les Pyrénées-Atlantiques ; dans ces espaces, on peut véritablement parler de saturation de l’espace. A l’inverse, la densité est seulement de 60 habitants par kilomètre carré dans les communes littorales de Corse, des Landes ou de la Gironde.
Il faut en outre noter que l’implantation à proximité du littoral reste prédominante : si l’augmentation de la population sur la partie rétro-littorale des cantons est soutenue, de l’ordre de 7 % entre 1990 et 1999, la population des communes du bord de mer est encore presque 5 fois supérieure à celle située dans la partie arrière des cantons littoraux. Le littoral continue d’accueillir la majeure partie de l’accroissement de la population, puisque la densité des communes littorales métropolitaines progresse de 9,6 %, contre 7,5 % dans les cantons littoraux.
Enfin, il faut noter que cette croissance démographique repose principalement sur des mouvements de migration, qui représentent 64 % de l’accroissement de la population des communes du littoral métropolitain, et 67 % de celui des cantons littoraux. Ce phénomène a même tendance à s’accélérer, puisque, sur la période 1982-1990, la croissance de la population des littoraux était due principalement à une augmentation du solde naturel, alors que sur la période 1990-1999, le solde migratoire contribue principalement à la croissance de la population des cantons littoraux.
– Une réalité par façade maritime plus nuancée
Néanmoins, ces chiffres au niveau national ne sauraient constituer la seule référence pour l’analyse de la situation démographique des espaces littoraux. Cette analyse mérite en effet d’être considérablement nuancée en fonction des différentes façades maritimes.
Selon les informations fournies par M. Nicolas Jacquet lors de son audition par la mission d’information, les données actuelles de la pression démographique selon les façades maritimes seraient les suivantes :
On constate donc que la situation démographique des territoires littoraux est très hétérogène ; il est donc fondamental que la politique menée dans ces zones soit adaptée à leur situation démographique et économique.
2. L’augmentation de la pression foncière : un phénomène à maîtriser
– Une pression répartie sur tout le littoral français
Selon les informations fournies à votre rapporteur par l’IFEN, la pression de l’urbanisation reste très importante dans les communes littorales métropolitaines : 12 % des superficies en logements et 7 % en locaux construits chaque année en France sont réalisés sur cette bande littorale représentant 4 % du territoire national. Cette pression se concentre, là encore, sur le bord de mer, puisque 77 % des superficies nouvellement construites sur l’ensemble des cantons littoraux ont été réalisées sur les communes longeant la mer, sur un espace représentant à peine plus de la moitié (56 %) de leur superficie totale.
Évolution des surfaces des permis de construire en logements entre 1990 et 2003 dans les cantons littoraux
Pour la construction de logements, la façade méditerranéenne continentale arrive largement en tête, puisque les superficies nouvellement construites sur le littoral le sont à 27 % en Provence-Alpes-Côte d’Azur et à 13 % en Languedoc-Roussillon. Sans surprise, les communes les plus actives dans ce domaine sont Nice, Cannes et Antibes dans les Alpes-Maritimes, Fréjus et Saint-Raphaël dans le Var et Agde dans l’Hérault. Viennent ensuite la Bretagne, à hauteur de 22 %, les Pays-de-la-Loire et le Poitou-Charentes (10 %) et l’Aquitaine (8 %).
En valeur absolue, le Finistère et les Bouches-du-Rhône ont enregistré le plus de nouvelles constructions, qu’il s’agisse de locaux ou de logements. Néanmoins, au regard de la superficie littorale totale, c’est dans les départements du Var, des Alpes-Maritimes et du Morbihan que le poids relatif de ces constructions est le plus fort. A l’inverse, c’est en Corse et en Gironde que les constructions ont été les plus limitées entre 1990 et 2000.
– Cette pression foncière est localement à l’origine d’importants conflits d’usage
Selon l’IFEN, l’urbanisation du littoral résulte d’une combinaison de plusieurs facteurs dont la part relative diffère selon les régions littorales :
L’urbanisation du littoral pose également des problèmes sur sa partie maritime. Les zones peu profondes, qui sont souvent les plus riches en termes de biodiversité, sont les plus touchées. A titre d’exemple, en 25 ans, sur la côte méditerranéenne entre la frontière italienne et Marseille, 10 % des petits fonds situés autrefois entre 0 et 20 mètres de profondeur ont été recouverts par 200 ouvrages gagnés sur la mer. Dans le Var, 11 % des petits fonds de moins de 10 mètres de profondeur ont été irréversiblement recouverts.
Ces éléments chiffrés donnent une idée de la pression foncière qui existe sur le littoral, exacerbant les conflits liés à son utilisation, notamment dans les régions où la proportion d’espaces naturels remarquables est particulièrement forte. Une carte du ministère de l’Équipement permet par ailleurs de localiser les communes sur lesquelles les conflits d’utilisation sont potentiellement les plus importants.
Face à ces conflits d’usage entre différentes activités proches du littoral, on pourrait penser que le droit existant viserait à gérer les frictions liées aux intentions d’utilisation du territoire littoral, tout en le protégeant dans ses zones les plus fragiles, ou présentant un intérêt particulier. C’est évidemment en très grande partie le cas ; mais on peut aussi s’étonner de la multiplicité des normes protectrices de tous ordres (réglementaire, législative, communautaire) aux finalités parfois contradictoires qui pèsent sur le littoral et le paralysent. Cette superposition mécanique de contraintes écologiques à l’intérieur de zones totalement dissociées conduit à une protection diffuse, cacophonique et souvent inefficace de notre ressource littorale.
Surtout, au lieu de concilier les usages du littoral, cette multiplication des contraintes conduit à exacerber les conflits, à juridictionnaliser le littoral en restreignant l’espace disponible pour chaque type d’activité ou pour chaque catégorie de citoyens, enfin à dresser, à l’échelle de la commune, une partie des habitants contre les autres.
Votre rapporteur a été saisi de constater que ces conflits liés à l’utilisation du sol dans les communes littorales peuvent conduire, par la création d’associations de défense d’intérêts diamétralement opposés, à un affrontement indirect entre deux catégories de citoyens : ceux qui possèdent déjà l’espace suffisant pour leur vie quotidienne ou leurs activités, et ceux qui voudraient pouvoir étendre leur lieu d’habitation ou de travail. En rationnant l’espace disponible, cette réglementation diffuse ne fait qu’accentuer les oppositions en créant une ambiance, somme toute, assez délétère dans certaines parties de notre littoral. Certaines personnes, membres d’une administration qui se veut impartiale en toutes circonstances ou d’une juridiction œuvrant pour l’application aseptisée voire esthétique du droit, semblent ne pas vouloir voir cet état de fait.
C’est pour cette raison qu’il appartient aux élus de montrer que cette superposition de contraintes est contreproductive pour la démocratie sur notre littoral. Ce problème a pourtant été relevé par Mme Catherine Bersani, inspectrice générale de l’équipement, dans son rapport sur l’application de la Loi Littoral paru en juillet 2000.
Analysant le régime des espaces remarquables, elle note que cette notion se superpose à un certain nombre de zonages protecteurs, relevant par ailleurs à très juste titre que « ce mécanisme cumulatif entraîne automatiquement la soumission de territoires étendus au nouveau régime sans qu’évidemment ce point ait été examiné au moment de choisir et de faire approuver les périmètres concernés », et précisant par ailleurs que « ce mécanisme cumulatif porte une atteinte sévère à la jouissance de la propriété privée ».
Mme Catherine Bersani a en outre, dans ce rapport, entrepris de dresser un tableau des différents types de protection applicables sur le littoral, extrêmement précieux dans la mesure où il est le seul à permettre de voir, d’un seul coup d’œil le panel extrêmement large des zones de protection, auquel, précisons-le, il convient d’ajouter celles découlant de la Loi Littoral :
LES ZONES DE PROTECTION DU PAYSAGE ET DE LA NATURE
Type de zone | Textes de référence | Objectif | Effets juridiques ou observations |
---|---|---|---|
ESPACES PROTÉGÉS PAR DES MESURES JURIDIQUES PRÉCISES | |||
Site classé > 2500 sites classés | Loi du 2 mai 1930 Décret 13/06/69 Décret 15/12/88 | Protéger et conserver un espace naturel ou bâti. �maintien en état des lieux et interdiction de la réalisation de travaux lourds. | – Interdiction de tous travaux susceptibles de modifier l’état des lieux, sauf autorisation du ministre concerné ou du préfet pour les travaux non soumis à permis de construire (après avis de l’architecte des bâtiments de France ou commission des sites). – Interdiction camping, création de village de vacances, affichage et publicité, sauf dérogation préfectorale. |
Site inscrit > 47000 sites inscrits | Loi 2/05/30 Décret 13/06/69 | Conserver les milieux et paysages dans leur état actuel, de villages et bâtiments anciens. �rôle d’alerte auprès des pouvoirs publics. | – Modification de l’aspect des lieux et tous travaux doivent être déclarés 4 mois à l’avance à l’architecte des bâtiments de France (ABF) pour avis. – Interdiction camping, création de village de vacance, affichage et publicité, sauf dérogation préfectorale. |
Réserve naturelle | Code rural–art. L. 242.1 à 242.27, R242.1 à 242.49 | Préserver des parties de territoire d’une ou plusieurs communes dont la faune, la flore, les | – Toute aliénation d’immeuble situé dans la réserve doit être déclarée. – Modification de l’état ou de l’aspect des territoires soumis à autorisation administrative. Publicité |
Circ. 19/2/86 et 2/11/87. | gisements de minéraux présentent une importance particulière. | interdite. – Aucune prescription possible de nature à modifier l’état du site. | |
Parc national | Code rural– art. L 241.1s, R 241.1s | Conserver la faune, la flore et, en général, un milieu naturel présentant un « intérêt spécial ». | Le décret de création de parc national peut : – interdire pêche et chasse, les activités industrielles et commerciales, tous travaux, l’extraction de matériaux, la circulation du public ; – réglementer les activités agricoles et pastorales. |
Parc naturel régional | Code rural– art. R 244.1s | Préserver un territoire à l’équilibre fragile, au patrimoine naturel et culturel riche et menacé et faisant l’objet d’un projet de développement fondé sur la valorisation de ce | Charte régissant les orientations de protection et de mise en valeur avec zonage. Les documents d’urbanisme doivent être compatibles avec la charte. |
patrimoine. | |||
Arrêtés de biotopes | Code rural– art. R 211.12 à 211.14 | Préserver les biotopes tels que dune, lande, pelouse, mare nécessaires à la survie d’espèces protégées et protéger les milieux contre les activités portant atteinte à leur équilibre biologique. | Peuvent être interdits les actions portant atteinte à l’équilibre biologique comme l’écobuage, le brûlage, la destruction des talus et des haies, l’épandage de produits anti-parasitaires… |
Zone de protection spéciale (ZPS) | Directive oiseaux 25/04/79 Directive habitats 21/05/92 | Sites nécessitant des mesures particulières de gestion pour conserver la population des oiseaux remarquables et préserver leur habitat. | Constituées pour tout ou partie de zones importantes pour la conservation des oiseaux (ZICO). |
ZONES BÉNÉFICIANT D’UNE PROTECTION FONCIERE | |||
Zone de préemption | Code urb.–art. L. 142.1 à 142.3 et R. 142.1 à 142.18 | Permettre l’acquisition de zones (par le département ou le conservatoire du | Interdiction de toute promotion immobilière. Ouverture des espaces correspondants au public. |
littoral), à l’occasion de transactions, afin de les | |||
protéger. | |||
Acquisition par le conservatoire du littoral | Code rural–art. L. 143.1 à 143.14 et R. 243.1 à 243.28 | Politique foncière de sauvegarde de l’espace littoral, de respect des sites naturels et de l’équilibre écologique. | Gestion confiée par convention aux collectivités locales, établissements publics, fondations, associations agréées à cet effet ou exploitants agricoles. |
INVENTAIRE DES ZONES A PROTÉGER | |||
Zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF) | Art. 23 loi 8/01/93 (loi paysage) Circ. N° 91.71 du 14/05/91 | Type I : intérêt biologique remarquable. Type II : grands ensembles naturels et peu modifiés ou qui offrent des potentialités biologiques importantes. | Aucune protection réglementaire. Cependant, les POS doivent en tenir compte selon la jurisprudence. La circulaire du 10/10/89 recommande la prise en compte des ZNIEFF du type I pour la définition des espaces remarquables au sens de l’art. L. 146.6. |
Zone d’importance communautaire pour les oiseaux ZICO | Directive oiseaux du 25/04/79 | Préserver la nidification et le repos des oiseaux migrateurs. | La délimitation des zones est communiquée à l’Union européenne. |
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Sites d’intérêt communautaire | Directive habitats du 21/05/92 Dt 5/05/95 | Sites « susceptibles d’être reconnus d’importance communautaire et d’être désignés ultérieurement par la France comme zone spéciale de conservation et appelés à ce titre à faire partie du réseau européen Natura 2000 » | |
Convention RAMSAR | Conv. 2/02/71 | Désignation d’au moins une zone humide d’importance internationale afin de permettre la réalisation d’un réseau mondial visant à enrayer la tendance à la disparition des zones humides et à conserver la faune et la flore inféodées. |
Source : ABF (Architecte des bâtiments de France).
Dans les analyses juridiques de la Loi Littoral que votre rapporteur a rassemblées pour la rédaction du présent rapport, les appréciations sur la qualité juridique de la rédaction de cette loi sont pour le moins divergentes : pour les uns, le texte est parfait, constituant un horizon indépassable pour la protection et la mise en valeur du littoral, dont il est impensable de vouloir améliorer la rédaction. Pour les autres au contraire, la Loi Littoral se singulariserait par son imprécision et ses difficultés de mise en œuvre ; le contentieux important lié son application serait généré par l’utilisation de notions sans définition juridique précise.
La réalité se trouve bien évidemment entre ces deux jugements extrêmes, et votre rapporteur estime, sans précaution particulière à l’égard du législateur de 1986, que le texte de la Loi Littoral constitue une synthèse équilibrée des problèmes et des enjeux liés, sur le plan économique, démographique et urbanistique, à notre littoral, tels qu’ils viennent d’être exposés.
1. Pour un retour à la lettre de la loi : la protection de l’environnement est mise sur le même plan que l’aménagement et la mise en valeur du littoral
Selon certaines analyses, la Loi Littoral aurait essentiellement pour objet de protéger l’environnement, notamment par le biais des restrictions à l’urbanisation dans la bande des 100 mètres, dans les espaces proches du rivage et dans les espaces remarquables. Ainsi, M. Daniel Labetoulle, conseiller d’Etat, indiquait dans les actes du colloque organisé au Sénat et consacré aux dix ans de la loi
)
littoral (1 : « Le juge administratif, qui prend les textes tels qu’ils sont quoiqu’il en pense sur le fond, quoiqu’il pense de leurs options, n’a pas trouvé dans la Loi Littoral des éléments permettant d’apporter un contrepoids à la préoccupation de protection ».
Cette appréciation est apparue, à votre rapporteur comme aux autres membres de la mission d’information, particulièrement curieuse s’agissant d’un
(1) L’Association nationale des élus du littoral, l’ordre des géomètres experts, « Actes des dix ans de la Loi Littoral, bilan et perspectives », mardi 26 novembre 1996, Sénat.
texte intitulé « loi relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral ». On pourra certes objecter que le titre d’une loi n’a jamais eu valeur normative ; il peut néanmoins éclairer sur la lecture qui doit être faite de certaines notions. En outre, l’article 1er de la Loi Littoral, qui a pour sa part pleinement valeur normative, au même titre que l’ensemble des autres dispositions de cette loi, est particulièrement clair : « Le littoral est une entité géographique qui appelle une politique spécifique d’aménagement, de protection et de mise en valeur. La réalisation de cette politique d’intérêt général implique une coordination des actions de l’Etat et des collectivités locales, ou de leurs groupements, ayant pour objet :
On peut encore objecter que cette rédaction ne permet pas de connaître précisément l’intention du législateur. Il suffit alors de se reporter aux travaux parlementaires, notamment à l’analyse de M. Jean Lacombe, rapporteur de ce texte à l’Assemblée nationale, qui indique dans l’introduction de son rapport :
« [Ces données] montrent qu’une politique spécifique concernant l’avenir de cette zone est nécessaire, et qu’elle doit s’efforcer d’arbitrer entre des exigences contradictoires, en tentant le plus possible de dépasser ces contradictions. Une politique du littoral doit être une politique de protection, mais aussi d’aménagement et de mise en valeur : le titre même du projet de loi qui nous
)
est soumis montre qu’il s’inscrit dans cette conception » (1.
Après avoir analysé les dispositions du projet de loi relatives à l’urbanisme, le rapporteur indique par ailleurs : « D’une manière générale, les nouvelles dispositions du code de l’urbanisme concilient d’une manière remarquable les préoccupations d’aménagement et de protection. (…) Mais pas plus que la notion d’aménagement n’est exclusive de celle de protection, cette dernière ne s’oppose aux préoccupations de mise en valeur du littoral. Le souci de protection et de mise en valeur inspire donc ensemble les dispositions [de cette loi] ». Il apparaît donc que l’intention du législateur de mettre protection, mise en
(1) Rapport n° 3084 fait par M. Jean Lacombe, député, au nom de la Commission de la production et des échanges sur le projet de loi n° 2947 relatif à l’aménagement, à la protection et à la mise en valeur du littoral.
valeur et aménagement sur un pied d’égalité est particulièrement claire dans les documents législatifs.
Dans les faits pourtant, il semble que ni l’administration, dont le rôle est de faire appliquer la loi, ni le juge qui doit la faire respecter, ne mette ces trois notions sur un strict pied d’égalité. Cet état de fait tient peut-être à la codification partielle et ambivalente de la Loi Littoral. Certains articles, qui seront rapidement considérés comme les plus importants, sont intégrés dès 1986 dans le code de l’urbanisme, sous la forme du titre IV du livre Ier, composé des articles L 146-1 à L. 146-9 de ce code. A l’inverse, les premiers articles de la Loi Littoral, énonçant clairement l’objectif d’une mise en œuvre équilibrée de la loi, prenant également en compte les objectifs de développement des territoires littoraux, n’ont pas été codifiés dans l’immédiat. Ce n’est qu’en application de l’ordonnance n° 2000-914 du 18 septembre 2000, que les articles 1 et 2 de la Loi Littoral deviendront les articles L 321-1 et L. 321-2 du code de l’environnement. L’insertion de ces articles dans un code différent de celui dans lequel ont été insérés les articles 3 et suivants de la Loi Littoral n’est pourtant pas de nature à inciter à les prendre en compte lorsque se posent des problèmes relatifs à l’urbanisation du littoral.
2. Pour un retour à l’esprit de la loi : les principes de protection et de mise en valeur doivent être précisés en fonction des spécificités locales
Selon certaines analyses, émanant souvent de praticiens du droit tels que les juges ou les avocats, mais aussi parfois de la doctrine, la Loi Littoral se caractériserait par sa très grande imprécision. Les plus critiques sont MM. Henri Coulombie et Jean-Pierre Redon, soulignant dès l’introduction de leur ouvrage, que « la loi du 3 janvier 1986 n’est pas un modèle de clarté. Certains articles sont illisibles (…). Les notions de référence n’ont la plupart du temps ni de définition juridique, ni de définition géographique, ni de définition technique » observant
)
ensuite que l’ensemble débouche sur une « cacophonie » (1. Au sujet de la notion d’espace proche du rivage, M. Jean-Marie Becet va même jusqu’à parler d’un
)
« monument de surréalisme juridique ». (2
Votre rapporteur tient à récuser fermement cette analyse, si elle a pour objet d’imputer les difficultés contentieuses liées à l’application de la Loi Littoral à l’imprécision de certaines de ses notions. Il apparaît très clairement à la lecture de la Loi Littorale que son texte contient des principes de protection et de mise en valeur de portée générale. Mais pour ceux qui ont un certain recul sur la matière, il apparaît que les notions utilisées ne sont pas plus imprécises que celles d’autres textes existant dans le domaine de l’environnement. Un juriste averti notera par exemple que les notions de perspective « monumentale », de site « pittoresque »
)
ou d’« atteinte au caractère des lieux » (3 ne sont pas plus imprécises que celles
de coupure d’urbanisation, d’espaces remarquables ou proches du rivage issues de la Loi Littoral.
Pour de nombreux juristes, le droit de l’environnement est en effet une matière relativement nouvelle, ayant recours à des notions innovantes de portée générale dont le champ d’application n’est pas, par définition, clairement établi dans le droit existant. L’ensemble conduit à l’impression d’un droit souple, un droit « flexible, élastique, instable » selon l’expression de Mme Danièle
)
Loschak (1. Ce type de norme est pourtant nécessaire lorsqu’il s’agit de concilier des objectifs aussi différents que la protection de l’environnement, la régulation de l’urbanisation et l’aménagement du territoire. Cette particularité a d’ailleurs été relevée par le rapporteur de la Loi Littoral à l’Assemblée nationale lui-même, lorsqu’il indique : « Cette loi […] s’inscrit dans une ligne nouvelle d’écriture du droit, dont les premiers termes apparaissent dans les directives déjà évoquées. Il est donc légitime que la loi ne soit pas écrite en des termes déjà juridiques ou définis parfaitement et cela relève de sa nature ».
Le caractère général de certaines notions de la Loi Littoral ne doit pourtant pas être assimilé à une imprécision. Comme le rappelle également le rapporteur M. Jean Lacombe : « C’est aux décideurs locaux de traduire, dans les documents ou par les différentes autorisations délivrées, le droit applicable […]. Le juridique n’intervient qu’après que les choix politiques ont été exercés ». La bonne application de la Loi Littoral supposait par conséquent que ces dispositions de portée générale soient précisées par des documents permettant de prendre en compte les spécificités locales. Cela n’a rien de surprenant dans un texte de portée législative, et encore moins s’agissant de la Loi Littoral qui, appartenant à la catégorie des lois d’aménagement et d’urbanisme abrogées par la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbain, était destinée à contenir des normes de portée générale.
Cette intention du législateur de permettre une application de la Loi Littoral adaptée aux particularités locales apparaissait de manière très nette dans la Loi Littoral telle qu’elle a été votée en 1986.
Ainsi, celui-ci a désiré renforcer le rôle des schémas de mise en valeur de la mer (SMVM) créés par la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions, en indiquant que ces schémas « déterminent également les vocations des différents secteurs de l’espace maritime et les principes de compatibilité applicables aux usages correspondant, ainsi que les conséquences qui en résultent pour l’utilisation des divers secteurs de l’espace terrestre qui sont liés à l’espace maritime ». Il est en outre précisé que ces schémas « peuvent, en particulier, édicter les sujétions particulières intéressant les espaces maritimes, fluvial ou terrestre attenant, nécessaires à la préservation du milieu marin ou littoral ». Les SMVM pouvaient
sites de caractère artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque, ainsi que l’article R. 11121 du code d l’urbanisme.
(1) Daznièle Loschak, « Le princie de légalité. Mythes et mystification », dans AJDA, septembre 1981, p. 387.
donc dès l’origine territorialiser l’application de la Loi Littoral, mais on comprend à la lecture de ces dispositions que cette territorialisation a principalement pour objet d’accroître l’efficacité de la protection du milieu maritime, et non d’adapter l’utilisation de l’espace terrestre proche du rivage en fonction des spécificités locales.
En outre, l’article 2 de la Loi Littoral telle que votée en 1986 précisait que les prescriptions particulières prévues par l’article L. 111-1-1 du code de l’urbanisme alors en vigueur pouvait préciser les conditions d’application de la Loi Littoral, afin de prendre en compte les particularités géographiques locales.
Cette intention de préciser l’application de la Loi Littoral par des documents de planification territoriale élaborés au niveau local a été inscrite ultérieurement de manière encore plus nette dans la Loi Littoral, à mesure que le processus de décentralisation a été approfondi. Ainsi, l’article 5 de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 dispose que les directives territoriales d’aménagement (DTA), prévues par le nouvel article L. 111-1-1 du code de l’urbanisme, peuvent préciser les modalités d’application du présent chapitre, sachant que ces directives sont établies par décret en Conseil d’Etat après avis ou sur proposition des conseils régionaux intéressés et après avis des départements et des communes ou groupements de communes concernés. Lors de l’examen de la loi Pasqua, le législateur de l’époque a envisagé d’écrire que les DTA peuvent adapter, et non préciser, les modalités d’application de la Loi Littoral, mais il a dû reculer devant le risque d’inconstitutionnalité de cette modification. Selon votre rapporteur, la question se pose de savoir si cette modification ne pourrait être, aujourd’hui, déclarée constitutionnelle, compte tenu des développements récents de la décentralisation.
***
En conclusion de cette première analyse, il apparaît qu’il était difficile, pour une norme de portée législative, de vouloir réglementer de manière identique les différents littoraux français, dont les enjeux économiques et démographiques sont nécessairement complexes. Pour parvenir à ce résultat, la Loi Littoral s’est limitée à énoncer des principes généraux, se révélant par conséquent exigeante à l’égard de l’administration et du juge pour sa mise en application.
La Loi Littoral laisse une large place au pouvoir réglementaire pour définir ses modalités d’application. Or, le pouvoir réglementaire a non seulement tardé à intervenir mais il a interprété de façon trop extensive certaines des obligations créées par la loi.
1. Une loi particulièrement exigeante à l’égard du pouvoir réglementaire
Comment le note un auteur spécialisé dans le droit du littoral, « pour sa
)
mise en œuvre sereine, la Loi Littoral se révélait exigeante » (1. Cette assertion est particulièrement vraie à l’égard du pouvoir réglementaire, auquel le législateur a renvoyé, à de nombreuses reprises, le soin de préciser certaines notions fondamentales inscrites dans cette loi.
Ainsi, une lecture complète de la Loi Littoral dans sa rédaction actuelle permet de relever les renvois au décret des notions suivantes :
(1) Jean-Marie Bécet, Le droit de l’urbanisme littoral, 2002.
Conseil d’Etat, après avis du Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres ».
Pas moins de 9 décrets étaient donc censés préciser les conditions d’application de Loi Littoral. Votre rapporteur tient en outre à préciser que ces décrets portent sur des notions aussi fondamentales que celles de commune littorale, d’espace remarquable, ou encore sur les modalités de délimitation du rivage. Or, comme on va le voir, le pouvoir réglementaire n’a pas été à la hauteur de la tâche qui lui a été assignée par le législateur. Il est vrai que le domaine à réglementer concerne certains des plus épineux problèmes du droit administratif (comme la détermination des communes riveraines d’un estuaire). Mais l’on comprend mal pourquoi, dans certains cas, ces décrets n’ont pas été pris pendant plus de 17 ans, bloquant ainsi totalement l’application de la loi sur une partie de notre territoire, dans certains cas, ils n’ont pas véritablement permis de préciser l’application de la loi ou, pire, posent de réels problèmes juridiques et mériteraient d’être revus.
2. Lescarences du pouvoir réglementaire
Au moment où la mission a commencé ses travaux, le constat est apparu de manière on ne peut plus limpide : sur les neufs décrets prévus par la Loi Littoral, seul un avait été publié, concernant les espaces remarquables. Trois décrets sont ensuite intervenus très récemment, ce qui permettrait de nuancer le constat d’échec que votre rapporteur s’apprêtait à dresser. Mais, de l’avis de plusieurs spécialistes du droit du littoral, le mal est déjà fait puisque la jurisprudence s’est substituée au pouvoir réglementaire, en imposant une lecture très restrictive de la Loi Littoral.
Il faut en outre noter que l’application de la Loi Littoral est à l’origine d’un arrêt de principe en matière d’obligation, de la part du pouvoir réglementaire, de prendre les décrets d’application d’une loi dans un délai raisonnable.
Ainsi, l’article 2 de la Loi Littoral, devenu l’article L. 321-2 du code de l’environnement, renvoie à un décret le soin de fixer la liste des communes riveraines des estuaires et des deltas. Rappelons en outre que le dernier alinéa de l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme, issu de l’article 3 de la Loi Littoral, renvoie à un autre décret le soin de fixer la liste des estuaires les plus importants auxquels le régime de la bande des 100 mètres sera applicable.
Pendant très longtemps, ces décrets n’ont pas été pris, ouvrant la porte à une période de flottement pour une question aussi essentielle que le champ d’application de la loi dans son entier.
Dans un premier temps, la question de l’application des dispositions spécifiques au littoral sur les rives des estuaires s’est posée à l’occasion de la mise en œuvre de l’article L. 146-4-IV. Un arrêt du Conseil d’Etat du 20 novembre 1995 a en effet semé le trouble, en jugeant que les dispositions relatives à la bande des 100 mètres et aux espaces proches du rivage ne peuvent s’appliquer aux estuaires, même situées dans les communes littorales de plein droit, du fait de l’absence du décret prévu à l’article L. 146-4-IV, alors même que les services de l’Etat appliquaient toutes les dispositions spécifiques au littoral sur l’ensemble du territoire des communes littorales, qu’elles comportent ou non un estuaire.
Cet arrêt, justifié dans son esprit, a ouvert la porte à une errance jurisprudentielle qui n’a fait le bonheur que des spécialistes du droit de l’urbanisme ; à la suite d’un avis du Conseil d’Etat du 5 octobre 1998 rappelant sa jurisprudence du 20 novembre 1995, le tribunal administratif de Rennes a, dans un arrêt du 28 mai 1998, écarté l’application des alinéas II et III de l’article L. 146-4 aux estuaires les plus importants, mais également de toutes les dispositions d’urbanisme contenues dans la Loi Littoral, faute d’intervention de l’autre décret relatif aux estuaires, prévu à l’article 2 de la Loi Littoral.
Cette jurisprudence a certes été annulée par la Cour administrative d’appel de Nantes, mais la question demeure de savoir si cette solution sera reprise par le Conseil d’Etat. Comme le note Jean-Marie Becet dans son ouvrage précité, « l’étude de la jurisprudence offre peu de certitudes mais, malgré tout, ouvre quelques probabilités quant à la définition de la commune littorale ( .. ). Il faut que sortent ce décret et celui prévu par l’article L. 146-4-IV pour que les probabilités se transforment en certitudes ». Votre rapporteur laisse le lecteur libre de savoir si un élu local peut apporter une telle réponse à un administré voulant s’assurer de la régularité d’un permis de construire ou comprendre pourquoi celui-ci a été annulé par le juge.
Selon les informations recueillies par votre rapporteur, les atermoiements du pouvoir réglementaire tiennent moins à l’opposition résolue des communes estuariennes lors des consultations pratiquées, qu’à l’absence de volonté politique d’étendre la Loi Littoral aux estuaires.
En tout état de cause, le Conseil d’Etat a été contraint de rendre, le 28 juillet 2000 un arrêt remarqué par la doctrine, dans la mesure où il enjoint sous
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astreinte au Gouvernement d’édicter le décret en cause (1. La Haute assemblée s’est en effet fondée sur une jurisprudence ancienne pour considérer que le Premier ministre est en situation de compétence liée pour édicter des décrets lorsque ceux-ci ont pour objet l’application d’une loi, et que son abstention audelà d’un délai raisonnable est illégale et constitutive d’une faute engageant la responsabilité de l’Etat. Le juge a donc enjoint au Premier ministre de prendre sous astreinte de 1 000 francs (152,45 euros) ces décrets à compter du 29 janvier 2001.
C’est donc avec une certaine joie que votre rapporteur a pu constater que le Gouvernement, sentant probablement que le Parlement était en train de se saisir d’une question importante pour certains territoires littoraux, a édicté un seul décret relatif aux articles 2 et 3 de la Loi Littoral, dont le texte est retranscrit en annexe de cette partie. Ce décret fixe une liste de 88 communes considérées comme
(1) CE, 28 juillet 2000, Association France Nature Environnement
riveraines d’un estuaire, et précise que les estuaires les plus importants sont… la Seine, la Loire et la Gironde.
Peut-être faut-il mentionner que, sur la base de cette situation juridique inacceptable pour la représentation nationale, M. Jean-Luc Warsmann, député des Ardennes, a déposé une proposition de résolution tendant à modifier le Règlement de l’Assemblée nationale pour assurer son information sur la mise en application des lois. Dans l’exposé des motifs de cette résolution, M. Jean-Luc Warsmann rappelle, en s’appuyant sur un considérant tiré de l’arrêt du 28 juillet 2000 en question, que « l’exercice du pouvoir réglementaire comporte non seulement le droit, mais aussi l’obligation de prendre dans un délai raisonnable les mesures qu’implique nécessairement l’application de la loi ».
3. Une interprétation extensive de certaines dispositions de la Loi Littoral par les décrets d’application
Votre rapporteur est d’avis que la rédaction de certains décrets, si elle avait été meilleure, aurait permis d’éviter un certain flottement dans l’application de la Loi Littoral, qui a laissé, comme on le verra, toute latitude au juge pour imposer sa lecture de cette loi.
– Une interprétation très extensive des espaces remarquables
Ainsi en est-il du décret sur les espaces remarquables, qui est une notion fondamentale de la Loi Littoral entraînant un important contentieux et est la source principale de l’incompréhension des élus locaux. Rappelons en effet que, au terme d’une évolution jurisprudentielle critiquable, tout travail ou aménagement, toute construction qui ne peut être considérée comme un aménagement léger est illégal dans les espaces remarquables, quel que soit le soin pris pour l’intégrer à l’environnement ou pour en éviter les risques éventuels pour le milieu à protéger.
L’article L. 146-6 du code de l’urbanisme, issu de l’article 3 de la Loi Littoral, précise en effet qu’ « un décret fixe la liste des espaces et milieux à préserver, comportant notamment, en fonction de l’intérêt écologique qu’ils présentent, les dunes et les landes côtières, les plages et les lidos, les forêts et zones boisées côtières, les îlots inhabités, les parties naturelles des estuaires, des rias ou abers et des caps, les marais, les vasières, les zones humides et milieux temporairement immergés ainsi que les zones de repos, de nidification et de gagnage de l’avifaune désignée par la directive européenne n° 79-409 du 2 avril 1979 concernant la conservation des oiseaux sauvages et, dans les départements d’outre-mer, les récifs coralliens, les lagons et les mangroves ».
A la lecture de cette phrase de l’article L. 146-6 du code de l’urbanisme, on pourrait imaginer que le décret en cause aurait pu permettre à tout un chacun, citoyen bénéficiaire d’un permis de construire ou élu local soucieux d’en vérifier la légalité, d’identifier précisément les zones qui pourraient être qualifiées d’espaces remarquables, non pas en les désignant commune par commune, mais en précisant « l’intérêt écologique » évoqué par l’article L. 146-6 du code de l’urbanisme. Il parait en effet évident que toutes les dunes ou plages ne doivent pas être protégées au titre des espaces remarquables, mais uniquement celles qui présentent un intérêt écologique.
Or, le décret n° 89-694 du 20 septembre 1989, insérant dans le code de l’urbanisme l’article R. 146-1, dispose qu’« en application du premier alinéa de l’article L. 146-6, sont préservés, dès lors qu’ils constituent un site ou un paysage remarquable ou caractéristique du patrimoine naturel et culturel du littoral, sont nécessaires au maintien des équilibres biologiques ou présentent un intérêt écologique :
a) Les dunes, les landes côtières, les plages et les lidos, les estrans, les falaises et les abords de celle-ci ;
b) Les forêts et zones boisées proches du rivage de la mer et des plans d’eau intérieurs d’une superficie supérieure à 1000 hectares ;
c) Les îlots inhabités ;
d) Les parties naturelles des estuaires, des rais ou abers et des caps ;
e) Les marais, les vasières, les tourbières, les plans d’eau, les zones humides et milieu temporairement immergés ;
f) Les milieux abritant des concentrations naturelles d’espèces animales ou végétales telles que les herbiers, les frayères, les nourrisseries et les gisements naturels de coquillages vivant ; les espaces délimités pour conserver les espèces en application de l’article 4 de la loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 et les zones de repos, de nidification et de gagnage de l’avifaune désignée par la directive européenne n° 79-409 du 2 avril 1979 concernant la conservation des oiseaux sauvages ;
g) Les parties naturelles des sites inscrits ou classés en application de la loi du 2 mai 1930 modifiée et des parcs nationaux créés en application de la loi n° 60-708 du 22 juillet 1960, ainsi que les réserves naturelles instituées en application de la loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 ;
h) Les formations géologiques telles que les gisements de minéraux ou de fossiles, les stratotypes, les grottes ou les accidents géologiques remarquables ;
i) Les récifs coralliens, les lagons et les mangroves dans les départements d’outre-mer ».
Comme on peut le voir, ce décret présente, aux yeux de votre rapporteur, plusieurs inconvénients : il reprend pour l’essentiel la liste des espaces dressée par l’article L.146-6 du code de l’urbanisme, sans préciser quelles sont les caractéristiques permettant de les classer comme remarquables.
En outre, ce décret élargit de manière prétorienne la liste des espaces pouvant être considérés comme remarquables, en y incluant par exemple les falaises, les estrans, les plans d’eau en général, les herbiers, les frayères, les nourriceries, les gisements naturels de coquillages vivants ou les formations géologiques remarquables.
Le décret y incorpore en outre de nouveaux périmètres sélectionnés au titre d’autres législations comme les parties naturelles des sites inscrits ou classés, les parcs nationaux et les réserves naturelles, ce qui peut paraître curieux dans la mesure où ces espaces bénéficient déjà d’un régime de protection, non spécifique au littoral, conformément aux titres III et IV du livre III du code de l’environnement. Ainsi, on peut noter, à titre d’exemple, que l’article L. 341-10 du code de l’environnement dispose que « les sites classés ne peuvent ni être détruits ni être modifiés dans leur état ou leur aspect sauf autorisation spéciale » délivrée par le ministre compétent.
L’inclusion automatique des sites classés dans la catégorie des espaces remarquables au titre de l’article L. 146-6 du code de l’urbanisme conduit ainsi à créer une incohérence entre cet article du code de l’urbanisme et l’article
L. 341-10 du code de l’environnement ; selon ce dernier, une autorisation du ministre doit permettre de réaliser des travaux dans les sites classés, à condition qu’ils ne conduisent pas à un déclassement de fait du site. Sur la base de cette autorisation, le Conseil d’Etat a par exemple jugé que la décision du ministre autorisant des travaux permettant l’extension d’un domaine skiable ne constitue pas, eu égard à la superficie utilisée, une mesure de déclassement et apparaît légale dès lors qu’elle est accompagnée de mesures compensatoires fondées sur l’engagement pris par le conseil municipal de réviser le plan d’occupation des sols en vue de réduire de 25 % le nombre de construction de logement autorisés (CE, 27 novembre 1985, Commune de Chamonix-Mont-Blanc). Cette souplesse de gestion des sites classés n’est aujourd’hui plus possible sur le littoral du fait de leur inclusion dans la catégorie plus large des espaces remarquables, pour lesquels aucune autorisation ministérielle spéciale n’est prévue.
De même, l’article L. 331-3 du code de l’environnement prévoit qu’un décret peut interdire à l’intérieur d’un parc naturel les activités industrielles et commerciales ou l’exécution des travaux publics et privés. Parallèlement, aux termes de l’article L. 332-3 du code de l’environnement, l’acte de classement d’une réserve naturelle peut interdire à l’intérieur de la réserve toute action susceptible de nuire à sa préservation, notamment les activités industrielles et commerciales ainsi que l’exécution de travaux publics ou privés.
L’inclusion des parties naturelles des sites inscrits ou classés, des parcs naturels ou des réserves naturelles dans les espaces remarquables conduit par conséquent à rigidifier significativement le régime applicable à ces espaces, lorsqu’ils se trouvent en zone littorale.
Le pouvoir réglementaire avait-il le droit de créer une telle extension du champ d’application des espaces remarquables ? L’article L. 146-6 du code de l’urbanisme édictait, certes, une liste non limitative, ouvrant droit à une extension par décret des espaces pouvant être considérés comme remarquables. Mais votre rapporteur est d’avis que le respect du souci de l’aménagement et de la mise en valeur du littoral, exprimé clairement par le législateur dans le texte même et lors de l’examen en séance publique de la Loi Littoral, aurait pu conduire le pouvoir réglementaire à ne pas étendre autant le champ d’application des espaces remarquables, à tout le moins à ne pas rigidifier le dispositif applicable aux sites inscrits ou classés, aux parcs naturels et aux réserves naturelles du littoral, qui sont précisément un exemple de gestion concertée, avec les élus locaux et les populations, du patrimoine naturel local.
Enfin, le décret du 20 septembre 1989 relatif aux espaces remarquables, tout en contribuant à élargir significativement le champ d’application des espaces remarquables, rend plus flous les critères permettant de définir ce caractère remarquable ; alors que la Loi Littoral disposait qu’un espace est remarquable à partir du moment où il constitue une caractéristique du patrimoine naturel et culturel du littoral ou qu’il est nécessaire au maintien des équilibres biologiques, le décret y adjoint un critère supplémentaire relatif à l’intérêt écologique. Comme le note Mme Catherine Bersani dans son rapport sur les conditions d’application
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de la Loi Littoral (1, « ce troisième critère, associé à n’importe laquelle des natures d’espaces indiquées, détermine assurément une vaste catégorie ».
– Une définition très restrictive des aménagements légers
Le décret du 20 septembre 1989 est aussi à l’origine de l’insertion dans le code de l’urbanisme de l’article R. 146-2 du code de l’urbanisme, prévoyant, conformément à l’article L. 146-6 du code de l’urbanisme selon lequel des aménagements légers peuvent être implantés dans les espaces proches du rivage lorsqu’ils sont nécessaires à leur gestion, à leur mise en valeur économique ou, le cas échéant, à leur ouverture au public, que ces aménagements légers s’entendent comme :
(1) Mme Catherine Bersani, Rapport sur les conditions d’application de la loi « littoral », Conseil général des ponts et Chaussées, 25 juillet 2000
Votre rapporteur ne peut que relever, comme d’ailleurs de nombreux spécialistes, le caractère extrêmement restrictif de la notion d’aménagement léger retenue par l’article R. 146-2 du code de l’urbanisme, totalement inapte à répondre aux attentes des touristes qui veulent simplement se rendre dans ces espaces remarquables.
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Comme le note M. Jean-Marie Becet (1, « d’abord le touriste est exclusivement un piéton. En revanche, pistes cyclables ou équestres ne peuvent être établies sur les espaces protégés, puisque (…) elles sont susceptibles de modifier le paysage et l’écologie. Ensuite, le touriste ne fait que passer. Sur son chemin, il peut trouver des bancs pour se reposer et des poubelles pour jeter ses petits détritus ( …) ». En revanche, le promeneur ne peut ni camper, ni jouer, ni s’instruire, ni même téléphoner. Il ne peut trouver sur son chemin ni poste de secours, ni toilettes avec dispositif fixe d’assainissement, ni cabine téléphonique, ni bâtiment fixe ou mobile destiné à l’information du public, à la vente de guides ou de boissons. Cette solution peut conduire à certaines impasses, notamment s’agissant du camping : la pratique du camping sauvage, très fréquente sur les espaces dunaires remarquables et sur les espaces boisés littoraux, devient très difficile à canaliser.
La conclusion que tire M. Jean-Marie Becet de cette situation est particulièrement claire, et pourrait être étendue à l’ensemble des problèmes posés par la Loi Littoral : « Faute d’être suffisamment compréhensive, la notion d’aménagement léger pour l’accueil du public passe du domaine du droit à celui de la tolérance administrative. La fréquentation de tels espaces le prouve à l’évidence ». En étant excessivement rigide, le droit applicable devient par conséquent inapplicable et inappliqué.
S’agissant du deuxième type d’aménagements légers rendus possibles par l’article R. 146-2 du code de l’urbanisme, ajouté par le décret n° 92-838 du 25 août 1992 pour apporter une solution à la situation des activités traditionnellement liées à la mer et situées dans un espace remarquable, à savoir les aménagements nécessaires à l’exercice des activités agricoles ou de pêche ne créant pas de surface hors œuvre brute de plus de 20 m2, on peut constater la même dérive rigoriste du pouvoir réglementaire par rapport à l’intention initiale du législateur.
D’abord, n’importe quel lecteur avisé peut se rendre compte que la surface de 20 m2 est dérisoire pour une activité de type agricole ou liée à la pêche ; on peut douter que cet ajout par le décret de 1992 ait réellement pour effet d’améliorer la situation des agriculteurs ou des pêcheurs dont l’exploitation se trouve dans un espace remarquable. De plus, le décret n° 2000-1272 du 26 décembre 2000 a remplacé les 20 m2 de surface hors œuvre nette par 20 m2 de surface œuvre brute. Initialement, conformément à l’article L. 112-2 du code de l’urbanisme, les surfaces de plancher des bâtiments aménagés pour le
(1) Jean-Marie Becet, Le droit de l’urbanisme littoral, 2002, p. 115
stationnement de véhicules ou affectés au logement des récoltes, des animaux ou du matériel agricole, ainsi que les surfaces de serres de production n’étaient pas comprises dans le champ d’application de cet article, dans la mesure où ils ne créent pas de surface hors œuvre nette. La modification apportée par le décret du 26 décembre 2000 est donc venue restreindre considérablement la notion d’aménagement léger dans le domaine des activités traditionnellement liées à la mer.
Pour résumer, on constate donc que l’interprétation de la notion d’espace remarquable par le pouvoir réglementaire est extrêmement rigoureuse, extensive dans l’espace et restrictive dans les dérogations. Ce jugement est aussi celui du Gouvernement, qui a déclaré « être conscient du fait que cette limitation est trop sévère », en annonçant une modification de l’article R. 146-2 du code de
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l’urbanisme (1. Comme le note Jean-Marie Becet, « les seules exigences sanitaires, auxquelles d’ailleurs, le pouvoir réglementaire, n’avait pas pensé au départ, excèdent souvent les 20 m2». Votre rapporteur ne peut donc que se féliciter du fait que le décret n° 2004-310 du 29 mars 2004 relatif aux espaces remarquables du littoral et modifiant le code de l’urbanisme ait permis de porter cette surface de 20 m2 à 50 m2, et modifiant par ailleurs l’article R. 146-2 du code de l’urbanisme de façon à permettre l’aménagement dans les espaces remarquables des aires des stationnement indispensables à la maîtrise de la fréquentation automobile et à la résorption du stationnement irrégulier.
4. Le décret relatif aux concessions de plage
Le dernier problème posé par l’exercice du pouvoir réglementaire concerne les concessions de plage. L’article 30 de la Loi Littoral, devenu l’article L. 321-9 du code de l’environnement prévoit que les concessions de plage sont accordées ou renouvelées après enquête publique ; elles préservent la libre circulation sur la plage et le libre usage par le public d’un espace d’une largeur significative tout le long de la mer. Tout contrat de concession doit déterminer la largeur de cet espace en tenant compte des caractéristiques des lieux.
Cet article prévoit en outre que « les concessions de plage et les sous-traités d’exploitation sont portés à la connaissance du public par le concessionnaire. Sauf autorisation donnée par le représentant de l’Etat dans le département, après avis du maire, la circulation et le stationnement des véhicules terrestres à moteur autres que les véhicules de secours, de police et d’exploitation sont interdits, en dehors des chemins aménagés, sur le rivage de la mer et sur les dunes et plages appartenant au domaine public ou privé des personnes publiques lorsque ces lieux sont ouverts au public ».
L’article 30 de la Loi Littoral a ultérieurement été complété par deux alinéas, ajoutés par l’article 115 de la loi n° 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité, prévoyant que « les concessions de plage sont
(1) Réponse ministérielle au député M. Charles Ehrmann, JO AN, 10 décembre 2001, p. 7130.
accordées par priorité aux communes ou groupements de communes ou, après leur avis si elles renoncent à leur priorité, à des personnes publiques ou privées après publicité et mise en concurrence préalable. Les éventuels sous traités d’exploitation sont également accordés après publicité et mise en concurrence préalable.
Les modalités d’application du présent article sont fixées par décret en Conseil d’Etat ».
Ce décret est actuellement en cours de rédaction, et votre rapporteur s’en est procuré un exemplaire. A l’issue des auditions, par la mission, des acteurs économiques de ce secteur, il apparaît que le décret, dans sa rédaction actuellement prévue, pose de très nombreux problèmes. Le ministère chargé de la mer (en particulier la direction du transport maritime, des ports et du littoral) et le ministère chargé des domaines (notamment la direction générale des impôts) se targuent d’avoir mené une large concertation avec les élus et les professionnels de
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la plage depuis septembre 2000 (1. Mais il semble que ces réunions se soient assez mal passées.
La raison s’en trouve clairement exposée sur le site du ministère de l’Équipement : « l’enjeu principal du projet de décret, qui remplacera les cahiers des charges types diffusés par simple circulaire, est de lutter contre le sentiment répandu qu’il existe des plages privées, tout en ne refusant pas la mise à disposition du public de certains services ». On peut s’étonner du fait que le pouvoir réglementaire se sente investi d’une telle mission, dans le cas d’un décret d’application d’une loi pour lequel il est en situation de compétence liée. Or, cette volonté n’a, à aucun moment, été exprimée par le législateur dans le cadre de l’article 115 de la loi n° 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité ; si le décret prévu par cet article fixe les modalités de tout l’article 30 de la Loi Littoral, il faut tout de même noter que l’apport principal de cette insertion concerne la possibilité, pour les communes ou groupements de communes, de bénéficier en priorité d’une concession de plage.
Le pouvoir réglementaire s’est donc en quelque sorte saisi du prétexte de cette nouvelle disposition pour remettre à plat tout le régime des concessions de plage. Rappelons que le régime actuel des concessions de plages naturelles est défini dans trois circulaires relatives aux plages naturelles en date respectivement du 1er juin 1972, du 27 juillet 1972 et du 16 juillet 1973 (suivant que le concessionnaire est une commune ou une personne privée) et par un décret du 5 février 1971 accompagné d’une circulaire du 26 mai 1971 relatifs aux concessions de plages artificielles.
Ce projet de décret comporte de nombreux points très positifs : il offre ainsi le principe de la libre circulation sur les plages sur un espace « d’une largeur significative » ; il prend en compte le problème de l’accès des handicapés à ces
(1) Voir sur le site du ministère de l’Équipement la note consacrée à la présentation du décret sur les concessions de plage.
plages, puisqu’il devrait contenir une disposition prévoyant que « l’aménagement des voies d’accès et des cheminements devra être réalisé, dans la mesure où il n’existe pas d’impossibilité technique, de façon à assurer l’accessibilité des personnes handicapées de tout ou partie de la plage et de ses équipements ».
En revanche, les professionnels semblent s’alarmer de certaines dispositions de ce décret, qui font évoluer le droit existant dans un sens plus restrictif. La fédération nationale des plages-restaurants s’est ainsi interrogée sur l’opportunité de réduire le pourcentage de superficie autorisée réservée aux activités, à 20 % sur les plages naturelles, alors qu’il était de 30 % dans les circulaires précitées. En revanche, il sera de 50 % sur les plages artificielles, contre 30 % dans les décrets des années 1970, mais cette avancée ne semble pas compenser la réduction du pourcentage applicable sur les plages naturelles, qui constituent l’essentiel de notre linéaire côtier.
En outre, le projet tente de garder ouverte la possibilité d’installations destinées aux touristes, mais essaye de mieux les encadrer, en disposant que les buvettes et établissements de restauration légère accessoires à des installations balnéaires peuvent être autorisés compte tenu de la situation, de la fréquentation de la plage et du niveau d’équipement d’accueil de son environnement. Surtout, le décret ne devrait autoriser sur le rivage de la mer que des installations mobiles et relevables et rappelle l’obligation du démontage annuel des installations, pendant une durée minimale de 6 mois, ce qui n’apparaissait pas clairement dans les circulaires des années 70. Cette disposition risque de porter gravement atteinte aux intérêts des restaurants et des bars établis en bord de plage, puisque le démontage pendant 6 mois de l’année les contraint à conserver des installations légères qui ne permettent pas toujours de répondre aux normes sanitaires en vigueur, ni d’avoir un aspect extérieur convenable sur des plages qui sont parfois fréquentées par une clientèle exigeante (voir ci-dessous l’exemple de la plage de Pampelonne près de Saint-Tropez).
En outre, cette obligation de laisser libre la plage pendant 6 mois de l’année s’accorde mal avec la notion de tourisme tout au long de l’année sur laquelle les élus locaux tentent de fonder un développement durable de leur territoire. La réduction du temps de travail combiné avec une certaine évolution de la manière dont les touristes prennent leurs vacances a permis d’étaler la saison des premières journées ensoleillées de mars aux derniers rayons de soleil du mois d’octobre, ce qui fait une saison de huit mois. Cet allongement permet en outre d’assurer un emploi stable dans les régions touristiques, destiné à des personnes qui vivent sur place et non plus à des saisonniers qui désertent les stations balnéaires dès que les deux mois d’été sont passés. Cette obligation de démontage vient donc contrarier cette évolution et précariser les emplois liés à ces installations. Dès lors, ces emplois seront assurés par des saisonniers venus d’autres régions, ce qui ne représente pas une solution de développement durable pour les territoires touchés par cette mesure.
En outre, le décret prévoit une durée maximale de ces concessions de 12 ans. Les professionnels du secteur ont souligné devant les membres de la mission combien cette durée était insuffisante pour permettre un amortissement des investissements parfois coûteux que peuvent nécessiter un restaurant ou un bar.
Un exemple des difficultés liées à la gestion des concessions de plage : la plage de Pampelonne près de Saint-Tropez
Pendant la seconde guerre mondiale, la plage de Pampelonne a souffert de sa situation stratégique, ce qui à conduit à l’abattage de nombreux arbres, ou rasement de nombreuses dunes par l’occupant avant le débarquement des Alliés.
Après la guerre, la plage a immédiatement connu un essor touristique important, par le biais des plagistes et sous le régime de la location directe par l’Etat. A l’origine, ces exploitants de plage offraient des services comprenant la location de matelas, de parasols, etc. Avec l’essor de la renommée et de la fréquentation, cette activité a rapidement évolué vers la création d’établissements plus structurés, construits en matériaux non démontables pour répondre à la demande des usagers.
En 1974, l’Etat a concédé à la commune l’exploitation de la plage ; le plan de concession entérinait la présence de la plupart des établissements de plage qui s’y trouvent actuellement, même si le cahier des charges de la concession laissait supposer la précarité des installations et leur démontage en fin de saison. Depuis cette époque, le développement de l’économie touristique a continué, conduisant à l’occupation de plus de 9 000 m2 de plancher bâti sur la plage, avec diverses formes de construction d’aspect hétéroclite.
A l’occasion du renouvellement de la concession en 1990, une réflexion a été engagée afin de mettre fin à une occupation anarchique caractérisée, en particulier, par la présence d’importants bâtiments d’exploitation de qualité médiocre, l’absence de sanitaires et de véritables postes de secours. Le projet prévoyait la démolition des 9 300 m2 du bâti actuel et la reconstruction de 5 500 m2 de surface hors œuvre nette correspondant à 24 établissements de plage, parking, toilettes publiques et postes de secours.
Le 5 mai 1995, l’acte de concession a fait l’objet d’un avenant afin de prendre en compte ce projet d’aménagement. Sur la base du projet, le maire de Ramatuelle a délivré le 15 mai 1995 les permis de construire permettant la réalisation de 8 établissements en arrière-plage sur le domaine public communal et de 16 établissements sur le domaine public maritime. Mais les associations « UDVN 83 » et « Vivre dans la presqu’île de Saint-Tropez » ont déféré l’avenant à la concession et les permis de construire au tribunal administratif de Nice qui a annulé ces actes par jugement du 23 décembre 1996 sur le fondement de la Loi Littoral. Ce jugement a ensuite été confirmé par un jugement de la Cour administrative d’appel de Marseille du 20 janvier 2000, rappelant que la plage de Pampelonne et son cordon dunaire constituaient l’un des espaces remarquables protégé par l’article L. 146-6 du code de l’urbanisme.
La plage de Pampelonne reste donc en l’état, avec les établissements de plage qui ne satisfont ni les touristes, ni les personnes qui y travaillent. Les parties bâties ont été réalisées sans permis de construire au fil d’autorisations précaires. Les matériaux utilisés sont totalement inesthétiques (tôle ondulée, ciment, éléments préfabriqués). La localisation des établissements conduit à un morcellement excessif des linéaires littoraux, et les conditions de desserte de certains établissements éloignés des parcs de stationnement et des voies d’accès favorisent une dégradation du système dunaire par les piétons, voire une circulation et un stationnement anarchique de véhicule sur la plage.
Le cas de la plage de Pampelonne est donc symptomatique d’une application rigoriste de la Loi Littoral. L’intervention, qui devient maintenant quasiment systématique sur le littoral français, des associations dites de protection de l’environnement, l’intervention du juge qui préfère faire prévaloir l’esthétisme sur la prise en compte des réalités locales, conduisent à une situation de blocage où tout aménagement, fût-il favorable à la préservation de l’environnement, devient impossible.
Plutôt que d’entreprendre d’édicter les décrets prévus par la Loi Littoral dans un temps raisonnable, l’administration a fait en sorte de contrôler l’application de la Loi Littoral par d’autres moyens réservés au pouvoir réglementaire pour lesquels l’administration n’était pas en situation de compétence liée par la Loi Littoral.
Comme le note Mme Catherine Bersani dans son rapport précité sur les conditions d’application de la Loi Littoral, l’Etat s’est invité, par voie de circulaire et d’instruction ministérielle, à devenir « le meneur de jeu », avec une attitude d’autant plus dirigiste que, à l’évidence, la force juridique de l’acte administratif précisant ce rôle était en train de diminuer.
Ainsi, la circulaire n° 89-56 du 23 décembre 1989 attribue à l’Etat un triple rôle de pilote, de partenaire et de contrôleur pour l’Etat, en se référant à l’article L. 110 du code de l’urbanisme alors en vigueur, selon lequel l’Etat est le garant du patrimoine commun de la nation que constitue le territoire français.
La circulaire précise donc, à destination des services déconcentrés, que « sous votre autorité et en concertation avec les communes intéressées, les services de l’Etat mettent en œuvre les dispositions [du décret relatif aux espaces remarquables]. Vous veillerez avec fermeté à ce que les documents d’urbanisme et les décisions d’occupation du sol respectent strictement [les dispositions de ce décret]. Les préfets demanderont aux communes et aux groupements concernés de procéder, s’il y a lieu, aux modifications et aux révisions (…) et en cas de carence de leur part, ils prendront l’initiative de ces procédures ».
On peut s’étonner du ton adopté par cette circulaire, dont on peut estimer qu’il ne correspond en aucun cas à l’esprit dans lequel a été votée la Loi Littoral. Outre cette fermeté de ton, cette circulaire est venue compléter la liste des espaces pouvant être considérés comme remarquables, liste dont il faut rappeler qu’elle avait déjà été étendue par le décret relatif aux espaces remarquables. Elle l’enrichit de zones répertoriées au titre d’inventaires qui n’avaient jusqu’alors aucune portée juridique en droit de l’urbanisme, comme les zones d’intérêt écologique, floristique et faunistique (ZNIEFF) ou les zones ornithologiques même non notifiées à la Communauté européenne. Elle ajoute enfin que d’autres espaces contribuant à l’attrait du littoral, sans être pour autant exceptionnels, pourront être protégés au titre de l’article L. 146-6 du code de l’urbanisme relatif aux espaces remarquables.
A propos de cette extension, Mme Catherine Bersani note que « l’ampleur de ces extensions déborde peut-être ce que le pouvoir réglementaire est habilité à faire », rappelant que « le régime des espaces remarquables institue une protection très contraignante puisqu’en partant d’une restriction sévère de constructibilité, le décret fixe une liste particulièrement limitative des aménagements susceptibles d’y être effectués ».
Le ton de la circulaire n° 89-56 du 23 décembre 1989 se retrouve ensuite dans l’instruction ministérielle du 24 octobre 1991 prise pour l’application de la Loi Littoral à destination des services déconcentrés :
« Si la compétence en matière d’urbanisme est aujourd’hui décentralisée, l’Etat demeure le garant des équilibres et conserve des prérogatives qu’il doit exercer avec fermeté. L’harmonisation [des projets des différentes collectivités]est conduite sous votre autorité, (…) vous devez garantir le strict respect des principes et vous attacher à faire valoir les conditions locales du respect de ces principes, à vous assurer de leur prise en compte effective, et, s’il y a lieu, à l’imposer ». Cette fermeté de ton amène votre rapporteur à s’interroger sur le rôle dévolu aux élus locaux dans l’esprit des auteurs de la circulaire et de l’instruction ministérielle. On peut douter de sa conformité avec l’article 1er de la Loi Littoral, selon lequel « le littoral est une entité géographique qui appelle une politique spécifique d’aménagement, de protection et de mise en valeur. La réalisation de cette politique d’intérêt général implique une coordination des actions de l’Etat et des collectivités locales ou de leurs groupements ».
Le jugement porté par la doctrine sur cette pratique est assez critique, comme le montre Jean-Marie Becet dans son ouvrage précité : « l’instruction du 22 octobre 1991 confirme la pratique qui s’était instaurée : c’est l’Etat, sous la responsabilité du préfet, qui identifie les espaces à préserver et les fait connaître aux communes lors du « porter à connaissance ». Cette manière d’agir n’est pas elle-même illégale, dans la mesure où elle laisse une certaine latitude de discussion aux communes dans la suite de la procédure de sélection des espaces, mais elle est révélatrice d’un état d’esprit défavorable à la décentralisation ».
Rappelons en effet que le préfet doit porter à la connaissance des communes ou de leurs groupements compétents en matière d’urbanisme les informations nécessaires à l’exercice de leurs compétences en matière d’élaboration d’un schéma de cohérence territoriale (SCOT) ou d’un plan local d’urbanisme (PLU). Il s’agit des dispositions particulières applicables au territoire concerné, issues notamment des directives territoriales d’aménagement (DTA), des lois montagne et littoral, mais aussi découlant des servitudes publiques ainsi que des projets d’intérêt général et des opérations d’intérêt national.
Sur ce point l’analyse de M. Jean-Marie Becet rejoint d’ailleurs celle de Mme Catherine Bersani, pour qui le porter à connaissance peut être considéré comme un baromètre de la décentralisation, tant il est vrai qu’il permet de juger du degré de latitude que les administrations entendent laisser aux élus locaux dans la gestion de l’urbanisme sur leur territoire. Les deux analyses convergent d’ailleurs pour montrer que ce baromètre n’est pas au beau fixe, car, comme le dit Jean-Marie Becet, « l’initiative change de camp et le caractère de simple proposition du porter à connaissance n’est pas toujours évident dans les termes employés : l’Etat identifie les espaces à préserver et les fait connaître aux communes qui peuvent difficilement contester l’argumentaire ».
Conformément à ces directives de l’administration centrale, les services
déconcentrés de l’Etat ont imposé, de manière dirigiste, une certaine lecture de la Loi Littoral, tandis que la concertation avec les élus locaux a été réduite à la portion congrue. Certains préfets ont d’ailleurs entrepris d’aller au bout de cette logique en déterminant eux-mêmes, par arrêté, la liste des espaces remarquables. Le tribunal administratif de Pau a annulé, pour excès de pouvoir, un tel arrêté, par un arrêt du 26 mai 1992 (les amis de la terre, ACCA de Tarnos, fédération départementale des chasseurs des Landes contre Préfet des Landes) en rappelant à juste titre:
« Considérant qu’il résulte, en premier lieu, de l’ensemble de ces dispositions que, si les espaces et milieux à préserver dans les communes littorales doivent être pris en compte tant au niveau des documents d’urbanisme que des décisions relatives au droit des sols, aucune d’entre elles, ni d’ailleurs aucune autre disposition législative ou réglementaire, ne donne compétence au préfet pour déterminer, par voir réglementaire, dans chaque commune, la liste desdits espaces ;
Considérant, en second lieu, que les plans d’occupation des sols sont élaborés ou révisés à l’initiative et sous la responsabilité des communes ; que l’Etat est simplement associé à ces procédures ; que, s’il appartient au préfet de porter à la connaissance des communes dans lesquelles un plan est en cours d’élaboration, de modification ou de révision, à titre d’information (…) la liste des espaces et milieux qui, selon lui, devraient être considérés comme entrant dans le champ d’application de l’article L. 146-6, (…), il ne lui appartient pas d’enjoindre à une commune de rendre compatible son plan avec une liste d’espaces et milieux à préserver qu’il a lui-même préalablement établie, … ».
Plus grave encore est la pratique des documents cartographiques qui accompagnent parfois les porter à connaissance. En effet, il arrive, par exemple, qu’une carte annexée à ce document fige une certaine lecture de la Loi Littoral, en indiquant les espaces inconstructibles, notamment les espaces remarquables, au titre de la Loi Littoral. S’agissant du Var, après un premier envoi sous forme écrite, le porter à connaissance a été précisé par une carte au 1/60 000ème, ainsi que deux notes méthodologiques sur la gestion de l’habitat et sur le calcul de la capacité d’accueil des communes. Le même cas a été constaté dans le Morbihan ; dans les deux cas, l’autonomie des communes en matière d’urbanisation a été très gravement réduite, sachant par ailleurs que le juge administratif se fonde souvent sur ces cartographies pour déterminer sa position.
De nombreux praticiens du droit estiment que certaines notions de la Loi Littoral, telles que celle d’espaces remarquables, d’espaces proches du rivage ou celle de coupures d’urbanisation, étaient dès l’origine trop imprécises pour pouvoir être appliquées directement, appelant nécessairement une interprétation par le juge. En même temps, ces praticiens reconnaissent aisément que les mêmes principes de protection et de mise en valeur du littoral ne peuvent pas s’appliquer de la même manière sur tous les littoraux français, compte tenu de la diversité de leur géographie physique et humaine.
Votre rapporteur, ainsi que l’ensemble des membres de la mission, considèrent unanimement que le législateur de 1986 avait en quelque sorte prévu ce paradoxe en posant dans la loi des principes généraux, qui devaient ensuite être précisés par certains documents de planification territoriale pour l’essentiel déjà existants au moment du vote de cette loi. Il est apparu aux membres de la mission que ces documents de planification n’ont pas permis de préciser les conditions d’application de la Loi Littoral en fonction des circonstances locales, de telle sorte que les principes généraux de la Loi Littoral ont donné lieu à une interprétation par le juge administratif. Les principaux outils de planification territoriale envisagés par la Loi Littoral étaient les directives territoriales d’aménagement et les schémas de mise en valeur de la mer, mais il existe par ailleurs d’autres documents qui auraient permis de préciser les principes inscrits dans la Loi Littoral.
1. Les directives territoriales d’aménagement.
Dans sa version antérieure à la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire, dite « loi Pasqua », l’article L. 111-1-1 du code de l’urbanisme prévoyait que les régions territorialement intéressées proposent aux autorités de l’Etat l’élaboration de prescriptions particulières permettant en quelque sorte de donner une grille d’interprétation des principes de protection et d’aménagement posés par la Loi Littoral.
Compte tenu du fait que les régions n’ont jamais usé de cette compétence, le Gouvernement a créé, par la loi n° 95-115 du 4 février 1995, les directives territoriales d’aménagement (DTA), dont la fonction est de fixer, sur certaines parties du territoire, les orientations fondamentales de l’Etat en matière d’aménagement et d’équilibre entre les perspectives de développement, de protection et de mise en valeur des territoires, ainsi que les principaux objectifs de l’Etat en matière de localisation des grandes infrastructures de transport et des grands équipements. La nouvelle rédaction de l’article L. 111-1-1 du code de l’urbanisme issue de la loi Pasqua précise en outre que ces directives « peuvent également préciser pour les territoires concernés les modalités d’application des dispositions particulières aux zones de montagne et au littoral figurant aux chapitres V et VI du titre IV » du livre I du code de l’urbanisme, c'est-à-dire les dispositions codifiées de la Loi Littoral et de la loi montagne, en précisant que ces modalités d’application seront « adaptées aux particularités géographiques locales ». La DTA a donc un champ beaucoup plus vaste que les prescriptions particulières, qui n’avaient pour objectif que de préciser les lois littoral et montagne. En outre, la DTA est un outil dont l’élaboration revient en très grande partie à l’Etat.
Par cohérence, l’article L. 146-1 du code de l’urbanisme a été modifié afin de préciser que les DTA peuvent « préciser les modalités d’application du [chapitre du code de l’urbanisme relatif au littoral] » et qu’elles « sont établies par décret en Conseil d’Etat après avis ou sur proposition des conseils régionaux intéressés et après avis des départements et des communes ou groupements de communes concernés ».
L’Etat peut donc avoir recours à la DTA partout où il existe des enjeux particulièrement importants en matière d’aménagement, de développement, de protection et de mise en valeur, sans que les territoires littoraux soient exclusivement visés.
De fait, 7 sites ont été retenus pour expérimenter les DTA, mais parmi eux, seuls l’aire métropolitaine de Marseille étendue à l’ensemble des départements des Bouches-du-Rhône, les Alpes-Maritimes, l’estuaire de la Seine et celui de la Loire concernent assez directement la mise en application de la Loi Littoral ; en outre, le projet de DTA des Alpes du Nord peut conduire à préciser les conditions d’application de cette loi sur les principaux lacs de ce territoire.
En dépit de l’intérêt que pouvaient présenter les DTA pour la mise en œuvre de la Loi Littoral, cet outil ne semble pas avoir été pleinement efficace pour plusieurs raisons.
a) Le nombre des DTA est trop restreint pour avoir un impact significatif sur l’application de la Loi Littoral.
A l’heure où la mission d’information a entrepris ses travaux, aucune des DTA prévues sur le littoral n’avait été prise par décret. Après avoir interrogé à ce sujet les personnes compétentes de la Direction générale de l’urbanisme et de l’habitat, il apparaît que cette paralysie du dispositif des DTA provient de l’excessive complexité de leur élaboration.
L’initiative de la DTA appartient en effet à l’Etat ; en pratique, c’est donc le comité interministériel d’aménagement et de développement du territoire (CIADT) qui choisit les secteurs sur lesquels l’élaboration d’une DTA est envisagée, même si les régions peuvent demander à l’Etat d’utiliser cette procédure sur un site particulier. Les travaux préparatoires d’une DTA, destinés à définir les enjeux d’aménagement du territoire concerné, dépendent également uniquement de l’Etat ; il s’agit essentiellement, lors de cette phase, de dégager une vision synthétique des études et des réflexions déjà engagées sur ces territoires avec le recours des services déconcentrés de l’Etat sous l’autorité d’un préfet coordonnateur.
A l’issue de ce travail, le préfet coordonnateur établit un rapport sur les études préalables qui peut contenir certaines propositions. Au vu de ce rapport, le comité interministériel décide ou non de poursuivre la démarche ; c’est à ce stade seulement que l’élaboration proprement dite peut commencer en association avec les collectivités locales.
Conformément à l’article L. 111-1-1 du code de l’urbanisme, sont associés les régions, les départements, les communes chefs-lieux d’arrondissement ainsi que les communes de plus de 20 000 habitants et les groupements de communes compétents en matière d’aménagement de l’espace ou d’urbanisme compris dans le périmètre de la DTA ( les autres communes intéressées seront seulement consultées sur le projet de DTA).
L’organisation formelle de l’association de ces collectivités ne fait cependant l’objet d’aucune précision par le législateur ou le pouvoir réglementaire ; en pratique, le préfet coordonnateur jouit donc d’une grande latitude pour l’organiser. En outre, la loi n° 99-553 du 25 juin 1999 d’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire a prévu une mise à disposition du public des projets de directives avant leur approbation par décret en Conseil d’Etat. Enfin, la loi SRU a parachevé cette évolution en décidant que les projets de directives sont soumis à enquête publique.
Enfin, après la consultation et la soumission à enquête publique, l’élaboration se termine par la transmission du dossier par le préfet coordonnateur à l’administration centrale. Après consultation du conseil national de l’aménagement et du développement du territoire, le projet est ensuite examiné de nouveau par le CIADT, et soumis au Conseil d’Etat avant d’être approuvé en Conseil des ministres.
On constate donc que la procédure d’élaboration des DTA est excessivement longue, ce qui explique le maigre bilan de la mise en œuvre des DTA.
A l’heure où la mission a débuté ses travaux, aucune des DTA n’avait été édictée. Selon les informations fournies à votre rapporteur, les rapports d’études préalables des sept DTA ont été validés entre 1996 et 2000. Quatre projets de DTA ont déjà été présentés au CIADT de décembre 2002, mais la seule DTA en vigueur a été édictée par le décret n° 2003-116 du 2 décembre 2003, portant sur les Alpes-Maritimes. Si l’on peut se féliciter de l’adoption de ce décret, on peut aussi s’interroger sur ce délai de 9 ans ayant été nécessaires à la parution de la première DTA. Pour de nombreux spécialistes, ce vide réglementaire a laissé au juge tout le loisir d’imposer sa lecture de la Loi Littoral, sachant par ailleurs que les DTA en cours d’élaboration peuvent difficilement faire abstraction de cette jurisprudence.
Comme votre rapporteur l’a déjà indiqué, les DTA devaient en principe pouvoir préciser, sur le littoral, les modalités d’application des dispositions de la Loi Littoral « adaptées aux circonstances locales » conformément à l’article L. 111-1-1 du code de l’urbanisme.
Votre rapporteur estime que la seule DTA en vigueur, dans les Alpes maritimes, n’a pas véritablement permis de prendre en compte les nécessités locales, dans la mesure où les précisions locales de la Loi Littoral avaient déjà été, dans cette partie de notre territoire, apportées par le juge administratif. La question de savoir si les auteurs des DTA sont tenus de respecter les décisions du juge administratif a nourri les analyses de la doctrine. Deux thèses semblent s’affronter en la matière : les agents de l’Etat pensent avoir une certaine latitude pour interpréter le texte de la Loi Littoral. Comme l’a indiqué le préfet des Alpes-Maritimes : « Pour l’instant, c’est la jurisprudence qui a permis d’interpréter les textes, mais certains estiment excessive la place laissée au juge par le législateur. La DTA pourra prendre la suite de la jurisprudence avec une assise juridique
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solide, puisqu’elle prendra la forme d’un décret en Conseil d’Etat »(1. A l’inverse, une partie de la doctrine estime qu’un décret doit nécessairement respecter les décisions de la jurisprudence administrative prises en application de la Loi Littoral elle-même. Pour la mission d’information, il apparaît aujourd’hui que c’est bel et bien la jurisprudence administrative qui a permis de préciser l’application de la Loi Littoral.
Outre le problème de la prééminence de la jurisprudence, le document même de la DTA des Alpes-Maritimes ne permet pas de savoir concrètement quels terrains sont constructibles et lesquels ne le sont pas : cette DTA comporte en effet une carte au 1/60 000ème qui ne permet pas l’identification de ces espaces visés par la Loi Littoral. A défaut, c’est donc la jurisprudence qui permet d’apporter ces précisions.
2. Lesschémas de mise en valeur de la mer
Par rapport aux DTA, les schémas de mise en valeur de la mer (SMVM)présentent l’intérêt de porter spécifiquement sur les zones littorales ; le nom de ces schémas est d’ailleurs mal choisi, puisqu’ils ont vocation à permettre d’optimiser la gestion de la mer et de son rivage, mais aussi et surtout de la bande littorale et rétro-littorale.
On peut rappeler que, reprenant les schémas régionaux d’aménagement du littoral puis les schémas d’aptitude et d’utilisation de la mer, l’article 57 de la loi du 7 janvier 1983, modifié ensuite par l’article 18 de la Loi Littoral, a permis la création d’un outil original de gestion intégrée et d’aménagement du littoral.
Article 57 de la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l’Etat (dite loi Defferre), modifié par l’article 18 de la Loi Littoral
« Dans les zones côtières, peuvent être établis des schémas de mise en valeur de la mer. Ces schémas fixent, dans le respect des dispositions mentionnées à l'article L. 111-1-1 du code de l'urbanisme, les orientations fondamentales de la protection, de l'exploitation et de l'aménagement du littoral.
(1) Le Moniteur des travaux publics, 13 septembre 1996, p. 51.
A cet effet, ils déterminent la vocation générale des différentes zones et notamment les zones affectées au développement industriel et portuaire, aux cultures marines et aux activités de loisirs. Ils précisent les mesures de protection du milieu marin.
(Insertion par l’article 18 de la Loi Littoral :)
Ils déterminent également les vocations des différents secteurs de l'espace maritime et les principes de compatibilité applicables aux usages correspondants, ainsi que les conséquences qui en résultent pour l'utilisation des divers secteurs de l'espace terrestre qui sont liés à l'espace maritime. Ils peuvent, en particulier, édicter les sujétions particulières intéressant les espaces maritime, fluvial ou terrestre attenant, nécessaires à la préservation du milieu marin et littoral.
Ces schémas sont élaborés par l'Etat. Ils sont soumis pour avis aux communes, aux départements et aux régions intéressés. Ils sont approuvés par décret en Conseil d'Etat.
Les schémas de mise en valeur de la mer ont les mêmes effets que les directives territoriales d'aménagement définies en application de l'article L. 111-1-1 du code de l'urbanisme.
Un décret en Conseil d'Etat fixe le contenu et les modalités d'élaboration de ces schémas. »
La vocation du SMVM à organiser les espaces littoraux a ensuite été précisée par le décret n° 86-1252 du 5 décembre 1986, dont l’article 1er indique que le SMVM « porte sur une partie du territoire qui constitue une unité géographique et maritime et présente des intérêts liés, concurrents ou complémentaires, au regard de la protection, de l’exploitation et de l’aménagement du littoral ».
Le SMVM présente par conséquent, aux yeux des membres de la mission d’information, l’intérêt de porter sur un périmètre souple, à définir en fonction de critères physiques et humains complémentaires.
Néanmoins, à ce jour, un seul SMVM est en vigueur sur l’Etang de Thau, approuvé le 20 avril 1995. Selon les informations fournies à votre rapporteur, deux schémas seraient en cours de finalisation avant d’être soumis à une consultation interministérielle, puis au Conseil d’Etat (le SMVM du littoral charentais, et celui du bassin d’Arcachon). Deux autres sont en phase d’élaboration (le SMVM du Trégor-Goélo, dans les côtes d’Armor, et celui du Golfe du Morbihan). Le bilan, plus de 20 ans après le vote de la loi Deferre, est donc bien maigre.
Cette situation est imputable à leur procédure d’élaboration, à la fois très longue et ne laissant aux élus locaux aucun espoir de voir leur vision du développement de leur territoire prise en compte (cf. le schéma d’élaboration des SMVM).
L’Etat a un rôle prépondérant dans l’élaboration des SMVM : c’est le préfet de département (et non le préfet maritime) qui dirige la procédure d’élaboration, et délimite le périmètre du schéma, désigne le responsable de l’instruction du projet, et fixe librement la composition du groupe de travail qui interviendra aux divers stades de l’élaboration du schéma, décide du moment où le projet de schéma sera suffisamment achevé pour être soumis aux consultations obligatoires et être mis à la disposition du public, et enfin transmet le dossier au ministre chargé de la mer, pour approbation par décret en Conseil d’Etat.
Ce dirigisme de l’administration dans l’élaboration du SMVM constitue une entrave à son élaboration, comme le note M. Jean-Marie Becet dans son ouvrage précité : « L’expérience montre qu’il est essentiel d’éviter un dirigisme excessif de la direction départementale de l’équipement et qu’il faut permettre à chacun de disposer des mêmes informations, afin que les participants travaillent sur un pied d’égalité », ajoutant que « les textes, à cet égard, sont largement dépassés ».
b) Un contenu qui devrait être étendu aux problèmes liés aux conflits d’usage sur le littoral
Le SMVM se présente sous la forme d’un rapport accompagné de documents graphiques et de plusieurs annexes obligatoires. La fonction principale du schéma est d’organiser la compatibilité entre les différentes activités situées sur le littoral, puis de définir les orientations fondamentales d’aménagement de la zone.
La prise en compte de la qualité de l’eau constitue le volet essentiel du SMVM, puisqu’il dresse un constat dans ce domaine, identifie les différentes sources de pollution, définit des orientations dans le domaine balnéaire ou aquacole d’une zone. Ainsi, le SMVM de l’Etang de Thau définit des zones aquacoles à vocation exclusive, différentes des zones aquacoles à vocation prioritaire, dans lesquelles d’autres activités que l’aquaculture sont possibles.
En outre, conformément à l’article 3 du décret n° 86-1252 du 5 décembre 1986, le rapport mentionne les projets d’équipement et d’aménagement liés à la mer, tels que les créations et extensions de port, ou les installations industrielles ou de loisir, en précisant leur nature, leurs caractéristiques et leur localisation. Il permet également de fixer les orientations en matière de développement touristique, notamment les perspectives d’urbanisation nouvelle à proximité de la mer.
En dépit de ses difficultés d’élaboration, le SMVM semble donc être le document le plus approprié pour régler les conflits d’usage sur le littoral. Votre rapporteur est néanmoins d’avis que le contenu des SMVM devrait être davantage axé sur la mise en œuvre concrète des principes de protection et de mise en valeur découlant de la Loi Littoral, ce qui permettrait d’éviter un abondant contentieux.
c) Une valeur juridique à renforcer
Les schémas d’aptitude et d’utilisation de la mer, qui sont à l’origine des SMVM, n’avaient pas de valeur contraignante, sauf à ce qu’ils soient approuvés sous forme de directive particulière d’aménagement national.
S’agissant des SMVM, l’article 57 de la loi du 7 janvier 1983 précitée dispose que les SMVM ont les mêmes effets que les DTA, ce qui signifie que les documents d’urbanisme locaux sont en principe soumis à leurs prescriptions. L’arrêt du Conseil d’Etat du 7 juillet 1997 (Association de sauvegarde de l’étang des Mouettes) n’est pas explicite à ce sujet, puisqu’il fait des SMVM un document d’urbanisme parmi d’autres. La prééminence du SMVM sur le SCOT et le PLU doit en effet être déduite de la hiérarchie entre ces documents et les DTA.
Enfin, la question de l’opposabilité des SMVM aux autorisations individuelles d’occupation du sol fait l’objet d’une analyse controversée de la doctrine. Or, en application de la loi de 1983, les SMVM ont valeur de DTA et devraient donc, à ce titre, être opposables à toute autorisation individuelle, comme les DTA. Un arrêt de la Cour administrative de Marseille, confirmé ensuite par un arrêt du Conseil d’Etat, a consacré cette position. Mais les spécialistes du secteur s’interrogent sur l’assimilation de la valeur juridique d’un SMVM à celui d’une DTA , à l’instar de Jean-Marie Becet : « A notre avis, en effet, l’objection porte moins sur la nature des dispositions du SMVM que sur l’assimilation complète de ses effets à ceux de la DTA. Aucun texte ne précise explicitement, comme pour les DTA, que les SMVM auraient pour fonction d’appliquer directement la Loi Littoral ». Celui-ci ajoute : « Si le législateur a cru bon d’indiquer que les DTA pouvaient préciser les modalités d’application de la Loi Littoral, c’est qu’il attache un effet juridique tout à fait original à cette fonction : les dispositions de la DTA précisant la Loi Littoral se substituent à celles de la Loi Littoral et s’appliquent donc directement à tous les actes ou opérations auxquels les dispositions législatives s’appliquaient. Il n’en va pas de même pour les dispositions du SMVM qui préciseraient les articles L. 146-1 et suivants du code de l’urbanisme ; aucune substitution ne s’opère, aucun texte n’y fait allusion ».
Il parait pourtant clair à votre rapporteur qu’en rapprochant les SMVM des DTA, le législateur a également entendu conférer aux premiers les mêmes effets juridiques que ceux des DTA. En tout état de cause, il paraît important, pour confirmer l’intérêt des SMVM pour la gestion de notre littoral, de clarifier leur valeur juridique.
3. Lesautres documents de planification spatiale
Il existe de nombreux autres documents de planification territoriale qui auraient permis de combler le vide réglementaire entre la Loi Littoral et les autorisations d’occupation du sol. L’objet n’est pas ici de les analyser tous, mais simplement de les présenter afin de montrer que le pouvoir réglementaire disposait d’un panel très large d’outils juridiques pour remplir la mission qui lui avait été assignée par le législateur, mais que la volonté politique de les utiliser a fait défaut pendant de trop nombreuses années.
La loi n° 99-533 du 25 juin 1999 d’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire portant modification de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire, dite « loi Voynet », a prévu la création de schémas de services collectifs concernant l’enseignement supérieur et la recherche, la culture, la santé, l’information et la communication, les transports de voyageurs et les transports de marchandises, l’énergie, les sports et les espaces naturels et ruraux.
Le schéma de services collectifs des espaces naturels et ruraux, qui contient un volet particulier relatif au littoral, a été approuvé par le décret n° 2002-560 du 18 avril 2002. Ce document contient une première partie établissant un diagnostic et retient des objectifs généraux, puis arrête des stratégies d’action réparties entre les orientations générales des politiques de l’Etat, les stratégies d’action territoriales, ainsi que les enjeux stratégiques nationaux. Afin de mettre en œuvre ces objectifs, le schéma identifie neuf espaces particulièrement concernés par les problèmes littoraux suivants : la maîtrise de l’urbanisation, la préservation ou la restauration du patrimoine paysager transformé par le développement des infrastructures touristiques, urbaines et portuaires, le règlement des conflits d’usage, la qualité des eaux, la restructuration et la préservation de la biodiversité, la surexploitation des ressources halieutiques, l’érosion marine et la régression des rivages, le problème lié à la présence d’îles et des récifs coralliens.
Les objectifs semblent donc ambitieux, mais les solutions proposées sont pour le moins limitées, puisqu’elles rappellent la nécessité de mettre en œuvre les outils juridiques existants avec une volonté politique déterminée. Comme le note Jean-Marie Becet dans son ouvrage précité : « la cause est entendue : le schéma de services collectifs des espaces naturels et ruraux saisit l’ensemble de problèmes posés par l’urbanisme littoral et affirme la volonté de l’Etat de jouer un rôle essentiel en la matière ; mais il ne modifie pas le panorama juridique. Toutefois, il conforte les outils existants et comporte l’engagement de l’Etat de s’en servir et de les respecter ».
b) Le schéma interrégional du littoral
Le schéma interrégional du littoral a été créé par la loi du 4 février 1995 précitée, introduisant dans la Loi Littoral un nouvel article 40 A qui invite les régions littorales à coordonner leurs politiques d’aménagement du littoral.
Article 40 A de la Loi Littoral
« Les conseils régionaux des régions littorales limitrophes peuvent coordonner leurs politiques du littoral et élaborer un schéma interrégional du littoral.
Ce schéma veille à la cohérence des projets d’équipement et des actions de l’Etat et des collectivités territoriales qui ont une incidence sur l’aménagement ou la protection du littoral. Il respecte les orientations du schéma national d’aménagement et de développement du territoire prévu à l’article 2 de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire et celles des schémas régionaux d’aménagement et de développement du territoire établis par les régions concernées et prévus à l’article 34 de la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l’Etat. »
On peut simplement dire aujourd’hui que le SIL est élaboré et approuvé par les différents conseils régionaux concernés, sans qu’une procédure particulière soit imposée. Il ne possède pas de caractère prospectif, dans la mesure où il est seulement doté d’un caractère indicatif.
Votre rapporteur est néanmoins contraint de constater que l’élaboration d’un SIL n’a été entreprise par aucune région littorale.
III.— UNE APPLICATION JURIDICTIONNELLE BIAISEE : LE JUGE EN
Comme votre rapporteur vient de le montrer, le pouvoir réglementaire a assez largement failli à la mission qui lui était assignée par le législateur, consistant à préciser, en collaboration avec les élus, les conditions locales de l’application de la Loi Littoral.
Ce vide réglementaire a laissé le juge administratif en première ligne pour interpréter les principes de la Loi Littoral, que le législateur a voulus suffisamment généraux, rappelons-le, pour pouvoir être adaptés aux spécificités locales des différentes façades maritimes françaises. Cette mission n’était certes pas facile, comme le note M. Daniel Labetoulle, conseiller d’Etat, dans les Actes d’un
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colloque consacré aux 10 ans de la Loi Littoral (1 : « Le juge administratif s’est trouvé face à des choix essentiels par rapport à la loi : est-ce que la loi s’applique aux autorisations individuelles, est-ce qu’elle s’applique sans le passage obligé par un plan d’occupation des sols ou par un schéma directeur, quelle est la portée de l’article L. 146-6 [du code de l’urbanisme], quel est le sens de la notion d’espaces proches du rivage, quel est le sens de la notion d’urbanisation limitée ? ».
Face à ces choix importants, il est néanmoins apparu, au cours des auditions menées par la mission, que le juge administratif a en quelque sorte omis de donner une consistance à l’objectif de mise en valeur du littoral, pourtant énoncé dès l’article 1er de la Loi Littoral, et interprété la quasi-totalité de ses notions dans un sens exceptionnellement restrictif, faisant ainsi prévaloir sur toute autre considération l’objectif de protection, voire de sanctuarisation du littoral.
Ce constat extrêmement grave, qui s’est imposé aux membres de la mission, n’est pas une invention des élus locaux aigris par certaines décisions du tribunal administratif de leur région. Il est admis par certains membres de la juridiction administrative eux-mêmes ; M. Daniel Labetoulle, aujourd’hui président de la section du contentieux du Conseil d’Etat, reconnaissait par exemple en 1996 à titre personnel dans les Actes des dix ans de la Loi Littoral déjà cités: « Chaque fois, reconnaissons-le, le juge administratif a adopté sur chacune de ces questions des réponses qui sont des réponses dures si je puis dire, parce qu’il est apparu que c’était elles qui exprimaient la seule intention inscrite noir
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sur blanc dans le texte qu’il s’agissait d’appliquer » (2.
Il n’est d’ailleurs pas le seul : M. Henri Coulombié, docteur en droit, avocat près la cour d’appel de Montpellier, débute ainsi un article de doctrine
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consacré à « La Loi Littoral, l’environnement et le juge » (1: « L’intitulé des lois montagne et littoral en fait foi, l’aménagement et le développement y précèdent, au moins dans le titre, la protection de l’environnement. En dix ans, la jurisprudence a inversé ce rapport ». A l’appui de cette analyse, M. Henri Coulombié cite les conclusions du commissaire du Gouvernement M. Gilles Le Chatelier sous l’arrêt de section du Conseil d’Etat du 12 février 1993 Commune de Gassin – qui devaient faire durablement référence pour l’interprétation de la Loi Littoral :
« Bien que l’hésitation soit permise, nous vous inviterons à retenir la première interprétation des dispositions de l’article L. 146-4-II que nous avons présentée. Celle-ci nous paraît plus conforme à l’esprit de la Loi Littoral qui, si elle se veut aussi une loi d’aménagement, nous parait avoir pour objet premier la protection de la Loi Littoral. Certes, les travaux préparatoires de la loi, malgré leur ambiguïté sur cette question, pourraient vous inciter à retenir la seconde interprétation. A cet égard, les premières versions du projet de loi présentées au Parlement indiquent clairement que le projet, s’il était conforme à un schéma directeur ou s’il avait recueilli l’accord du préfet, pouvait procéder à une extension non limitée de l’urbanisation. Mais, cette version a été totalement modifiée pour aboutir à la rédaction dont vous avez aujourd’hui à interpréter les dispositions. Aussi, le recours aux travaux préparatoires n’est pas nécessaire en présence de dispositions qui en définitive, nous paraissent claires ».
Ces conclusions sont choquantes à plus d’un titre pour le législateur : comment un juge peut-il décréter de manière prétorienne que l’objet premier de la Loi Littoral est la protection de l’environnement, alors que le titre même de cette loi indique précisément que son objet est d’établir un équilibre entre protection et mise en valeur ? Comment un juge peut-il s’appuyer sur la version initiale du projet de loi transmis au Parlement pour interpréter la volonté du législateur ? Comment, enfin, un juge peut-il écarter les travaux préparatoires du Parlement, en estimant qu’une disposition de la loi lui paraît claire, alors que le fait même que cette disposition appelle une interprétation en dernière instance, devant le Conseil d’Etat, après un jugement du tribunal administratif et un autre de la Cour administrative d’appel, prouve à l’évidence que cette disposition manque de clarté, et que les travaux préparatoires seraient précisément un document nécessaire pour comprendre l’intention du législateur.
Le juge administratif a donc prétendu imposer aux élus locaux et aux citoyens sa propre lecture de la Loi Littoral. Cette prétention est d’ailleurs revendiquée par certains juges administratifs ; ainsi, M. Norbert Calderaro, vice-président du tribunal administratif de Nice, dont la jurisprudence est véritablement décriée par les élus du littoral méditerranéen, a entendu donner certains conseils à notre mission par le biais d’un article de doctrine, dans lequel il s’interroge de la manière suivante : « Veut-on la disparition totale des forêts des Maures et de l’Estérel, veut-on mettre en péril encore davantage toute une population
(1) M. Henri Coulombié, « La Loi Littoral, l’environnement et le juge », la Gazette du Palais, 24-25 juin 1998.
inconsciente qui n’aspire qu’à bâtir en pleine forêt ? Et le juge administratif n’a-t-il pas le devoir moral d’annuler, sur le fondement de l’article L. 146-6, les trop nombreux permis de construire délivrés dans un tel contexte ? ». Votre rapporteur ne peut que s’indigner du fait qu’un juge, dont la mission est simplement et strictement d’appliquer la loi telle qu’elle a été votée par la Représentation nationale, se sente investi d’un devoir moral allant à l’encontre de la volonté des populations « inconscientes » et de leurs élus, donnant ainsi une consistance réelle
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au spectre du gouvernement des juges (1.
Le constat qui vient d’être dressé par votre rapporteur ne saurait se passer d’une analyse concrète des dérives jurisprudentielles liées à l’application de la Loi Littoral. Pour autant, il n’est pas dans la vocation d’un rapport de mission d’information parlementaire de se lancer dans une exégèse, nécessairement longue, technique et donc fastidieuse, du contentieux pléthorique qui entoure l’application de la Loi Littoral. Votre rapporteur a donc entrepris d’étayer ses propos en centrant son analyse sur les notions clefs de la Loi Littoral, auxquelles se rapporte, malheureusement, l’essentiel de ce contentieux.
1. La notion d’espace remarquable aurait-elle été confondue avec celle d’espace bucolique ?
Votre rapporteur a déjà montré que le pouvoir réglementaire avait contribué à étendre considérablement la liste des sites potentiellement considérés comme remarquables. Le juge administratif a, pour sa part, contribué à identifier des espaces remarquables dans de très nombreux sites de nos littoraux. Il est pourtant impossible aujourd’hui de dire quel pourcentage de notre littoral pourrait être considéré comme remarquable, car, comme le note M. Henri Coulombié dans son article de doctrine précité : « Les espaces remarquables ou caractéristiques du patrimoine, au sévère régime d’inconstructibilité, partagent avec les espaces proches du rivage le redoutable privilège d’être ce que les juges diront qu’ils sont ». De fait, ni le citoyen qui fait construire sa maison à crédit, ni le maire d’une commune littorale qui octroie un permis de construire, ne peut vraiment savoir si tel espace littoral peut être considéré comme remarquable, tant il est vrai que tout espace littoral peut, à un titre ou à un autre, être considéré comme remarquable.
Votre rapporteur ne remet évidemment pas en cause la nécessité de protéger les espaces les plus beaux de notre littoral, d’autant plus qu’il en existe
(1) M. Norbert Calderaro, « Faut-il vraiment modifier la Loi Littoral », Bulletin de jurisprudence de droit de l’urbanisme, mai 2003. Votre rapporteur tient d’ailleurs à remercier M. Calderaro d’avoir, dans cet article, suggéré à notre mission des propositions fort ambitieuses, consistant à faire appliquer l’article 41 de la Loi Littoral, selon lequel « Le Gouvernement déposera chaque année devant le Parlement un rapport sur l’application [ …] de la présente loi », tant il parait évident que cette proposition est de nature à apporter des solutions concrètes aux problèmes qui se posent sur le littoral français.
quelques uns sur sa circonscription. On peut rappeler que cette nécessité a été affirmée par le rapport Picquard dès 1973. Dans un souci de sécurité juridique, il est simplement nécessaire que chacun puisse connaître concrètement le périmètre de ces espaces, dans le plus strict respect de la Loi Littoral.
Peut-être est-il bon de rappeler cet esprit, tel qu’il a été compris par
M. Jean Lacombe, rapporteur du projet de loi :
« Il faut souligner que les espaces et milieux cités par le 1er alinéa de l’article L. 146-6 le sont à titre d’exemples. Il en résulte que le texte n’a pas pour objet, et ne doit pas avoir pour effet d’imposer aux documents et aux décisions d’urbanisme de protéger toutes les dunes, toutes les landes côtières, toutes les forêts côtières, etc… ».
La jurisprudence permet-elle aujourd’hui de savoir si un espace est remarquable ? Pour être qualifié de remarquable, un espace doit d’abord relever de la liste très complète dressée par l’article R. 146-1 du code de l’urbanisme, déjà mentionné précédemment. Ensuite, il faut déterminer si cet espace est effectivement remarquable. Enfin, conformément au décret du 20 septembre 1989, il peut être ajouté à cette liste le critère supplémentaire de l’intérêt écologique. Il existe donc aujourd’hui plusieurs critères qualitatifs, indépendants les uns des autres, permettant de qualifier un espace de remarquable.
De cette complexité, il résulte souvent, dans les arrêts de la juridiction administrative, un enchevêtrement de critères qui empêche toute systématisation de l’approche du juge, lui laissant ainsi la possibilité de trancher en pure opportunité. Ainsi, par exemple, dans son arrêt Syndicat intercommunal du Golfe
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de l’Adour (1, le Conseil d’Etat, après avoir noté que la zone en question se situe dans la partie naturelle du site inscrit des étangs landais du sud, qualifie d’espaces remarquables des terrains en soulignant que cette partie se compose notamment de dunes boisées et de dépressions humides traversées par les canaux du Boudigan et de l’Anguillère et abrite dans ces dépressions humides une faune et une flore caractéristique de la forêt hygrophile du littoral landais, qui présente une grande fragilité biologique.
Dans un autre arrêt, le Conseil d’Etat décide que les espaces considérés sont au nombre de ceux dont l’article L. 146-6 du code de l’urbanisme exige la préservation, aux motifs que le secteur est constitué de zones boisées des contreforts du massif des Maures, site remarquable dominant le rivage de la mer, ainsi que de milieux présentant un intérêt écologique pour la faune et la flore. Mais souvent, le juge administratif, dans une opération de qualification, se fonde sur un seul critère : soit l’aspect paysager, sans que l’intérêt écologique soit visé, soit, à l’inverse, l’aspect écologique sans que le caractère remarquable ou caractéristique de l’espace en cause ne soit évoqué. On le comprend, le juge
(1) CE, 29 juillet 1998, Syndicat intercommunal du golfe de l’Adour.
administratif semble avoir recours au critère le plus opportun, sans que celui-ci soit réellement prévisible.
M. Jean-Marie Becet, dans son ouvrage précité, va même jusqu’à noter : « Souvent, le juge administratif se montre elliptique dans sa motivation et n’indique pas sur quels éléments concrets il fonde sa décision. Il a, semble-t-il, de plus en plus tendance à accompagner la conception très extensive qu’a l’Etat des espaces remarquables en présumant le caractère remarquable des secteurs retenus ».
Cette présomption a même été clairement affirmée par le juge administratif, lorsqu’il explique, dans l’arrêt du Conseil d’Etat du 29 juin 1998 Monsieur Chouzenoux : « Considérant que les dispositions précitées tendent à préserver les parties naturelles des sites inscrits ou classés qui doivent être présumées constituer un paysage remarquable ou caractéristique eu égard à l’objet des procédures de classement et d’inscription prévue par la loi du 2 mai 1930 (…) », alors que rien, dans la Loi Littoral, n’autorise le juge à présumer qu’un espace est remarquable dès lors qu’il appartient à la liste prévue par l’article
L. 146-6 du code de l’urbanisme, ou à celle, plus large, de l’article R. 146-1 du même code.
2. Une lecture extensive de la notion d’espace proche du rivage
Rappelons que, conformément au second paragraphe de l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme, « l’extension limitée de l’urbanisation des espaces proches du rivage ou des rives des plans d’eau intérieurs […] doit être justifiée et motivée dans le plan local d’urbanisme, selon des critères liés à la configuration des lieux ou à l’accueil d’activités économiques exigeant la proximité immédiate de l’eau ».
Votre rapporteur doit reconnaître que ce paragraphe fait partie des dispositions les plus générales de la Loi Littoral. Elle traduit la volonté d’associer les espaces rétro-littoraux à la protection et à la mise en valeur du littoral, et aurait véritablement mérité d’être précisée par les documents de planification territoriale mentionnés précédemment.
A défaut, c’est le juge administratif, qui a été contraint d’en préciser les contours, en en faisant « un monument de surréalisme juridique » selon les termes de M. Jean-Marie Bécet dans son ouvrage précité.
Conformément au texte de la loi, plusieurs critères doivent être pris en compte pour déterminer les espaces proches du rivage, le premier tenant à la distance par rapport à la mer, le second aux critères topographiques du lieu, et le dernier à l’influence maritime.
Le juge administratif a combiné ces trois critères dans une lecture encore une fois très extensive. Dans sa fameuse décision Commune de Gassin du 12 février 1993, le Conseil d’Etat s’est inscrit en rupture avec les interprétations de cette notion proposées par les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel, faisant prévaloir la notion de paysage marin et la méthode de l’analyse multicritères. Le Conseil d’Etat a donné un coup d’arrêt relativement brutal à ce raisonnement, en faisant prévaloir le critère de la distance sur les autres critères, refusant ainsi de tenir compte des spécificités du lieu.
Dans ce cas d’espèce, la délibération du Conseil municipal de Gassin du 2 décembre 1987 avait autorisé l’aménagement d’un golf particulièrement bien intégré à l’environnement, dans une zone située entre 800 et 1200 mètres du rivage, dont elle était séparée par une ligne de crête et surtout par l’étroite plaine côtière extrêmement urbanisée de Saint-Tropez. Dans ce cas précis, il y avait donc séparation physique entre le projet et le rivage, mais aussi une certaine absence de proximité fonctionnelle, ce qui aurait dû conduire le juge à écarter la qualification d’espace proche du rivage.
Or, le Conseil d’Etat s’est ainsi prononcé : « Considérant que le terrain […] sur lequel des constructions sont projetées, est situé pour l’essentiel à une distance de 500 à 1000 mètres du rivage ; que ce terrain, bien qu’il soit séparé du rivage par une ligne de crête et par une zone urbanisée, constitue un espace proche du rivage, au sens des dispositions de l’article L. 146-4-II du code de l’urbanisme. »
Le commissaire du Gouvernement M. Gilles Le Chatelier explique dans ses conclusions qu’il faut apprécier au cas par cas la notion d’espace proche du rivage ; c’est là une solution de bon sens, même si l’on peut regretter qu’il revienne au juge d’apprécier la portée de cette notion en fonction de circonstances locales, alors que, dans l’esprit du législateur, il revenait aux documents de planification territoriale le soin de le faire. Le commissaire du Gouvernement juge en outre qu’il est nécessaire d’adapter la protection du littoral au titre des espaces proches du rivage en fonction de l’atteinte déjà portée au site, qui était importante dans ce cas d’espèce. Chacun peut comprendre la nécessité d’une telle adaptation ; il est néanmoins difficilement acceptable que, sur la base de cet arrêt de principe, tous les jugements portant sur la notion d’espaces proches du rivage se fondent sur le critère de la distance par rapport au rivage, sans autre considération pour les spécificités locales physiques ou humaines.
Il est encore moins acceptable que, sur la base de cette jurisprudence, certaines directions départementales de l’Équipement aient entrepris de fixer la délimitation des espaces proches du rivage et tentent d’imposer aux communes qui révisent leur plan d’occupation des sols une limite extrême de 2000 mètres, quelle que soit la nature des secteurs considérés. Selon Jean-Marie Becet, dans son ouvrage précité, « cette pratique est génératrice de conflits qui n’ont pas été voulus par le législateur ».
L’autre problème tenant au régime des espaces proches du rivage est lié à la notion, issue de l’article L. 146-4-II, d’extension limitée de l’urbanisation dans ces espaces proches du rivage. Qu’est ce qu’une extension limitée de l’urbanisation ?
Pour que s’applique le régime de protection des espaces proches du rivage, il faut d’abord que soit explicitement prévue une extension de l’urbanisation, ce qui aurait permis au juge, par une interprétation équilibrée prenant en compte l’objectif de mise en valeur du territoire littoral énoncé à l’article 1 de la Loi Littoral, d’écarter dans certains cas l’application de cette règle. Ainsi, on aurait pu penser que, pour qu’il y ait extension de l’urbanisation, il était nécessaire qu’il y ait proximité immédiate d’une urbanisation existante, ce qui aurait abouti à interdire toute urbanisation totalement nouvelle, y compris sous la forme de hameaux nouveaux. En sens inverse, on aurait pu estimer que ces dispositions concernent des opérations d’urbanisation groupées, auxquelles il semblait difficile d’assimiler la délivrance de quelques permis, voire d’un seul permis.
Mais le Conseil d’Etat a estimé qu’il y a extension de l’urbanisation dès lors qu’il y a modification dans l’occupation des sols : tout projet développé sur un secteur non urbanisé constitue une extension de l’urbanisation.
En outre, la question, très importante pour les élus locaux, de savoir s’il est possible de considérer qu’il y a extension de l’urbanisation si, dans un espace incontestablement urbanisé, un maire envisage de densifier cette urbanisation, a également été tranchée dans un sens restrictif par le Conseil d’Etat.
La doctrine soutenait pourtant nettement le point de vue selon lequel le régime des espaces proches du rivage devait permettre la densification de l’urbanisation de ces espaces, s’appuyant à cet effet sur une jurisprudence
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explicite(1.
Statuant en cassation, dans un arrêt du 27 septembre 1999 Commune de Bidart, le Conseil d’Etat a néanmoins imposé une tout autre solution, en affirmant avec clarté que le caractère urbanisé ou non de l’espace n’entre nullement en ligne de compte lorsque s’applique l’article L. 146-4-II du code de l’urbanisme. Il y aurait donc erreur de droit à ne pas appliquer la disposition relative à l’extension limitée de l’urbanisation dans des espaces urbanisés considérés comme proches du rivage, même si les immeubles projetés doivent être réalisés après démolition des constructions préexistantes. A propos de cette décision, M. Jean-Marie Becet estime que « le juge administratif suprême, jouant tantôt sur la lettre, tantôt sur l’esprit du texte, donne aux dispositions protectrices prévues par le législateur son extension maximale. Il résulte de cet arrêt définitif que, sans exception aucune, toute autorisation d’occupation du sol sollicitée en espace proche du rivage réalise une extension de l’urbanisation qui donc doit présenter un caractère limité».
(1) CAA Lyon, 17 mai 1995, Ministre de l’ Équipement contre M. Ettori
3. La bande des cent mètres doit-elle être un sanctuaire ?
Conformément au troisième paragraphe de l’article L. 146-4-III du code de l’urbanisme, « en dehors des espaces urbanisés, les constructions ou installations sont interdites sur une bande littorale de cent mètres à compter de la limite haute du rivage […] ». Ce principe, déjà posé dans la directive d’aménagement nationale du 25 août 1979, est dans l’ensemble largement soutenu par les élus et par les habitants.
Contrairement à la notion d’espaces proches du rivage, la délimitation de la bande des 100 mètres ne pose pas de problème juridique, hormis quelques problèmes techniques liés à l’érosion du littoral. Les difficultés viennent en revanche de l’absence de définition précise des deux exceptions qui viennent paralyser l’application de cette disposition, dans la mesure où elle ne s’applique qu’en dehors des espaces urbanisés et ne concerne pas les installations et constructions nécessaires à des services publics ou à des activités économiques exigeant la proximité immédiate de l’eau.
Rien dans le code de l’urbanisme ne permet, en premier lieu, de définir la notion d’espace urbanisé ; le juge administratif est donc amené à utiliser la méthode du faisceau d’indices pour les déterminer.
Sous le régime de la directive de 1979, le Conseil d’Etat avait adopté une position équilibrée en jugeant qu’un ensemble de 8 constructions édifiées de part et d’autre d’une voie, dans un rayon de 100 mètres autour du terrain sur lequel devait être réalisé le projet litigieux, devait être considéré comme une zone urbanisée (CE, 16 janvier 1985, Paul Baron).
Très rapidement, une position beaucoup plus stricte a été imposée par le juge administratif, en tenant compte d’éléments nouveaux qui auraient pu être considérés comme accessoires, permettant d’interdire de continuer à urbaniser des zones littorales déjà légèrement urbanisées. Ainsi, une route située entre les constructions existantes et la parcelle sur laquelle est envisagée une construction nouvelle est considérée comme une rupture d’urbanisation, rattachant ce terrain aux espaces non urbanisés (CE, 5 juillet 1995, ministère de l’Équipement contre Laurelli).
En outre, le juge administratif exige aujourd’hui que puissent être constatés des éléments d’organisation de l’espace et d’équipement permettant de qualifier l’espace d’urbanisé (CAA, Lyon, 24 octobre 1995, Commune de Nermier).
Enfin, il arrive que le juge administratif prenne en considération l’impression générale, finalement assez subjective, que produit un espace : si les constructions existantes se fondent dans la nature, s’intègrent à une zone boisée sans lui faire perdre son caractère, le juge estime que l’on ne se trouve pas dans un espace urbanisé (CE, 12 mai 1997, Société civile immobilière Ifanor).
Le second problème lié au régime applicable dans la bande des 100 mètres vient de l’exception, expressément prévue par la Loi Littoral, des services publics et des activités économiques exigeant la proximité immédiate de l’eau. On est sur ce point, au cœur même des dispositions que le juge administratif aurait pu interpréter de manière équilibrée, afin de donner une certaine consistance à l’objectif de mise en valeur du littoral énoncé dans la loi du 3 janvier 1986.
Au lieu de cela, le juge administratif a interprété la loi, encore une fois, dans un sens exceptionnellement restrictif. Que l’on ne puisse implanter dans la bande des 100 mètres un centre de thalassothérapie, un centre d’isothérapie, ou toute autre installation liée au tourisme, est parfaitement acceptable, surtout dans la mesure où ces projets sont souvent le prétexte à l’implantation de vastes ensembles immobiliers. Mais la jurisprudence a réduit la notion d’activité exigeant la proximité immédiate de l’eau à son plus strict minimum, contraignant souvent les communes à mettre en œuvre des techniques extrêmement coûteuses pour éloigner une installation du littoral. La seule exception, fondamentale au demeurant, concerne les activités traditionnellement liées à la mer, telles que les activités de mareyage.
Enfin, le principal problème lié au régime de la bande des 100 mètres provient de l’interprétation très stricte du régime d’inconstructibilité de ces zones faite par le juge administratif. Comment un élu local est-il censé expliquer à ses administrés que :
Au terme de ce survol rapide de la jurisprudence administrative, il apparaît assez clairement que le juge a entrepris, comme le prouve à l’évidence le dernier exemple évoqué, de donner de la Loi Littoral une lecture tellement stricte, voire rigide, qu’elle en devient inapplicable pour les élus locaux, et inacceptable pour leurs citoyens.
Le juge a interprété strictement les notions de la Loi Littoral, mais en revanche de façon extensive ses pouvoirs d’interprétation de la Loi Littoral. Dans ses conclusions sous l’arrêt précité Commune de Gassin du 12 février 1993, le commissaire du Gouvernement M. Gilles Le Châtelier fait référence, pour l’appréciation du caractère limité de l’extension de l’urbanisation des espaces proches du rivage au contrôle normal exercé dans l’arrêt Commune de
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Cruseilles (1, dans le cadre de la loi montagne, sur la légalité des procédures des Unités touristiques nouvelles (UTN) au regard de la qualité des sites et du respect des équilibres naturels.
Depuis, il semble acquis que le juge exerce désormais un contrôle normal du respect des principes d’aménagement, de mise en valeur et de protection des lois littoral et montagne.
Ainsi en est-il, par exemple, du contrôle opéré sur le fondement du dernier alinéa de l’article L. 146-6 du code de l’urbanisme, relatif au classement dans les PLU en espaces boisés classés des parcs et ensembles boisés existants les plus significatifs.
Les juridictions administratives comparent l’espace en cause aux autres espaces boisés de la commune pour en apprécier l’importance qualitative et quantitative au regard de l’ensemble des autres espaces boisés publics et privés communaux.
Le régime très protecteur des espaces remarquables et caractéristiques du patrimoine issu du premier alinéa de l’article L. 146-6 du code de l’urbanisme fait l’objet d’un contrôle analogue.
Sur ce point encore, le tribunal administratif de Nice a innové en allant audelà de la jurisprudence du Conseil d’Etat, en estimant que la loi place les autorités administratives locales en situation de compétence liée, notamment lorsqu’il s’agit d’un espace déjà protégé au titre d’une autre réglementation.
Le contrôle normal du juge administratif est encore exercé sur l’appréciation du régime d’inconstructibilité de la bande des 100 mètres de l’article L. 146-4-II ou sur l’appréciation de la notion de hameau nouveau intégré à l’environnement, présent aussi bien dans la loi montagne que dans la Loi Littoral (article L. 146-4-I du code de l’urbanisme).
Ainsi, on constate que le juge se réserve, s’agissant de la Loi Littoral comme de la loi montagne, un pouvoir très important d’appréciation des
(1) CE 15 mai 1992, Commune de Cruseilles.
circonstances de fait, à l’occasion d’un contrôle rigoureux des décisions prises par les autorités administratives locales, en allant bien au-delà du simple contrôle minimum de l’erreur manifeste d’appréciation traditionnellement applicable en matière d’aménagement du territoire et d’urbanisme.
Si les élus ont décidé aujourd’hui de réagir face à cette interprétation très partielle et partiale de la Loi Littoral, c’est aussi parce qu’ils ont été émus, lors de leurs auditions, d’entendre des citoyens anonymes broyés par une machine administrativo-judiciaire dont les décisions sont incompréhensibles pour tout un chacun, imprévisibles y compris pour le maire qui octroie les permis de construire, et parfois contradictoires. Face à ces situations, ces citoyens n’ont d’autre solution que de se regrouper sous forme d’associations pour tenter de faire valoir leurs droits, et souvent, bien plus modestement, pour tenter d’influer sur les autorités publiques afin que d’autres personnes ne connaissent pas le même sort.
Qu’il soit clair dans l’esprit du lecteur que ces citoyens ne seraient pas venus à Paris, souvent de très loin, pour être auditionnés par la mission d’information si leur but était simplement de bétonner en paix le littoral français, pour reprendre une idée très triviale qui revient souvent en filigrane dans les analyses de la presse nationale dès lors que la Représentation nationale tente de
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plaider en faveur d’une application équilibrée de la Loi Littoral (1.
Qu’il soit clair à nouveau que les élus ne cherchent pas à mettre à mal la Loi Littoral, mais simplement à sécuriser la situation juridique des citoyens, et à éviter un contentieux pléthorique dont le coût pour la Nation reste à déterminer.
A titre d’exemple, la mission d’information a entendu M. Pierre Poncet, président d’une association récemment créée dénommée « Nature, urbanisme et démocratie », qui tente de fédérer les personnes dont la vie a été brisée par les décisions prises en application de la Loi Littoral, que ce soit à proximité de la mer ou sur les rives d’un lac de montagne, auxquelles les dispositions de la Loi Littoral sont également applicables.
Les analyses de ces associations, qu’il serait dangereux, dans un régime démocratique, de ne pas vouloir entendre, sont convergentes : il est contraire au principe de sécurité juridique que la construction de leur habitation principale soit autorisée dans un premier temps par le maire de leur commune d’habitation, puis par le préfet de leur département, pour ensuite être déférée devant le tribunal par des associations dites de protection de l’environnement au stade où cette habitation est en passe d’être terminée. S’il est naturel, dans un Etat de droit, que des associations de protection de l’environnement puissent attaquer systématiquement toute décision d’autorisation d’occupation des sols, peut être
(1) On peut se reporter à titre d’exemple à l’article du Monde du samedi 31 mai 2003, intitulé « Les lois montagne et littoral mises à mal par les parlementaires », ou plus récemment à l’article du même quotidien du 30 juin 2003 intitulé « Les pressions se multiplient pour assouplir la Loi Littoral ».,
l’est-il moins que le juge, en référé, prête une oreille très souvent favorable à cette pratique qui conduit à dresser certaines catégories de la population – souvent les habitants de ces zones – contre d’autres – dont la mission a été amenée à constater qu’il s’agit souvent de personnes qui n’habitent pas dans ces zones, mais ypossèdent une résidence secondaire et cherchent par conséquent à préserver leur environnement estival.
La question de la compatibilité de cette dérive jurisprudentielle avec les libertés et les droits fondamentaux des citoyens français mérite d’ailleurs d’être posée. En tout cas, elle l’a été par M. Robert Rezenthel, docteur en droit et éminent spécialiste de droit du littoral dans un article paru récemment dans la
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revue du « Droit maritime français »(1.
M. Rezenthel commence son analyse par une remarque de bon sens, que chacun peut méditer :
« Si un texte semblable à la loi relative au littoral avait existé il y a plusieurs siècles, de grandes œuvres n’auraient pas pu être réalisées, comme l’abbaye du Mont-Saint-Michel, les remparts de Saint-Malo, le fort Boyard, ou le célèbre château d’If. Au XIXème siècle, Marseille aurait sans doute été privée de la cathédrale de Notre-Dame de la Garde !
L’homme n’est pas nécessairement excessif dans l’aménagement de son cadre de vie. D’ailleurs, l’appréciation de la mesure de l’excès est très subjective. Doit-on se plaindre de l’aménagement du littoral du Languedoc-Roussillon ? Certains regrettent peut-être la disparition des zones humides, mais vraisemblablement moins les moustiques qui y prospéraient ».
M. Rezenthel constate que la multiplication des textes de droit interne et de droit international ayant vocation à s’appliquer sur le littoral est préoccupante, d’autant plus que ces textes se caractérisent souvent par leur très grande imprécision, alors même que le Conseil constitutionnel a déclaré que l’accessibilité, l’intelligibilité et la clarté de la loi constituent des objectifs de
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valeur constitutionnelle(2.
Or, il faut bien constater que certaines dispositions de la Loi Littoral conduisent parfois à remettre en cause le droit de propriété, consacré à la fois par la Constitution française et par l’article 1 du Protocole additionnel n° 1 à la Convention européenne des droits de l’homme. En effet, il arrive par exemple que le domaine public maritime soit étendu au détriment des propriétés privées, en y incluant les lais et relais futurs, conduisant ainsi à faire perdre le droit de propriété de l’habitant, sans indemnité, ce qui peut être considéré comme étant, en partie, contraire au droit de propriété.
Selon cet auteur, « l’occupant du domaine public maritime peut également être victime de la violation [du Protocole additionnel n° 1 à la convention européenne des droits de l’Homme]. En effet, si la voie de fait résultant de la destruction de la paillotte « Chez Francis » sur le littoral corse a été largement médiatisée, en revanche, on ne s’est pas interrogé à cette occasion sur les droits de l’occupant en cas d’éviction, fût-ce pour des raisons environnementales ».
Selon cette analyse, c’est bien au juge qu’il revient d’user de son pouvoir d’appréciation pour prendre en compte les intérêts en présence, et concilier l’objectif de protection de l’environnement littoral avec le droit de propriété consacré par la Constitution.
Face à ces multiples défauts d’application de la Loi Littoral, les élus n’ont eu d’autres choix, dans les limites des pouvoirs qui sont les leurs, que de faire en sorte que les cas les plus aberrants d’application inique de la Loi Littoral puissent être surmontés, en amendant la Loi Littoral. Cette solution n’est évidemment pas satisfaisante, d’autant plus qu’elle est souvent perçue par l’opinion publique comme une volonté du législateur de remettre en cause les principes de la loi. Mais, à défaut d’intervention de l’administration pour faire en sorte que l’application de cette loi prenne en compte les spécificités locales, à défaut d’une volonté du juge administratif d’appliquer cette loi de manière équilibrée, le législateur n’a d’autre solution que d’user de son droit d’amendement pour tenter de mettre un peu d’huile dans les rouages juridiques, afin d’éviter que des citoyens ne se trouvent dans une situation inextricable. Comme le note Jean-Marie Becet dans son ouvrage précité : « tous les amendements jusqu’ici apportés à la Loi Littoral sont nés du désir de fournir une issue à un cas précis que le texte en vigueur ne permettait pas de solutionner », et il ajoute qu’il « faudrait que le juge administratif, en ce domaine, fasse également prévaloir un souci de réalisme sur des considérations certes parfaitement compréhensibles et légitimes sur le plan théorique, mais trop éloignées des préoccupations effectives sur le terrain ».
La première modification introduite par le Parlement a consisté, par l’article 8 de la loi n° 94-112 du 9 février 1994, à compléter le second alinéa de l’article L. 146-8 du code de l’urbanisme, afin de permettre à titre exceptionnel, la construction de stations d’épuration d’eaux usées avec rejet en mer, sur n’importe quel espace littoral.
A titre exceptionnel, les stations d’épuration d’eaux usées avec rejet en mer, non liées à une opération d’urbanisation nouvelle, peuvent être autorisées conjointement par les ministres chargés de l’urbanisme et de l’environnement, par dérogation aux dispositions du présent chapitre.
Cette possibilité avait en effet été écartée par le Conseil d’Etat dans
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l’affaire de la station d’épuration de Toulon-Ouest sur le site du cap Sicié (1. Cette modification eut été inutile si le Conseil d’Etat avait assimilé cette station soit à un service public, soit à une activité exigeant la proximité immédiate de l’eau, ce que lui aurait permis une lecture équilibrée de l’article L. 146-4-III du code de l’urbanisme, selon lequel l’inconstructibilité dans la bande des 100 mètres ne s’applique pas à ce type d’activités.
La seconde modification du texte de la Loi Littoral a été apportée par l’article 109 de la loi n° 99-574 du 9 juillet 1999 d’orientation agricole, complétant l’article L 146-4-I du code de l’urbanisme, afin de tempérer les effets dévastateurs d’une certaine lecture de la Loi Littoral sur la présence de l’activité agricole en zone littorale.
Par dérogation aux dispositions de l’alinéa précédent, les constructions ou installations liées aux activités agricoles ou forestières qui sont incompatibles avec le voisinage des zones habitées peuvent être autorisées, en dehors des espaces proches du rivage, avec l’accord du préfet après avis de la commission départementale des sites, perspectives et paysages. Cet accord est refusé si les constructions ou installations sont de nature à porter atteinte à l’environnement ou aux paysages.
Cet amendement a eu pour objet de répondre à l’arrêt Commune de Logonna-Daoulas, dans lequel le juge administratif a annulé l’arrêté du maire de cette commune délivrant le permis de construire un bâtiment à usage de poulailler, au motif que la construction autorisée ne pouvait être regardée comme réalisée en continuité avec une agglomération ou un village existant. Or, ces élevages sont également concernés par l’arrêté du 13 juin 1994 qui interdit l’édification de ce type de bâtiments à moins de 100 mètres des habitations, de 200 mètres des plages et de 500 mètres des zones conchylicoles. Le maire de cette commune se trouvait donc à la fois dans l’obligation d’autoriser ce poulailler en continuité avec l’urbanisation existante, et de le placer au moins à 100 mètres de ces habitations. Le raisonnement du juge administratif conduisait cependant à interdire toute possibilité de créer des élevages sur tout le territoire d’une commune littorale, alors même qu’aucune disposition de la Loi Littoral ne pose une telle interdiction, et même qu’elle préconise au contraire « le maintien ou le développement des activités agricoles ».
Enfin, la dernière modification apportée à la Loi Littoral par le Parlement, l’amendement « Gaïa » devenu l’article L. 146-6-1 du code de l’urbanisme introduit par l’article 42 de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbain, a pour objet de fournir une solution à la célèbre affaire relative au projet de réhabilitation de la plage de Pampelonne.
(1) CE, 19 mai 1993, Association les Verts Var.
Article 42 de la loi n° 2000-108 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbain
Art. L. 146-6-1. Afin de réduire de réduire les conséquences sur une plage et les espaces naturels qui lui sont proches de nuisances ou de dégradations sur ces espaces, liées à la présence d’équipements ou de constructions réalisées avant l’entrée en vigueur de la loi n° 862 du 3 janvier 1986 précitée, une commune ou, le cas échéant, un établissement public de coopération intercommunale compétent peut établir un schéma d’aménagement.
Ce schéma est approuvé, après enquête publique, par décret en Conseil d’Etat, après avis de la commission des sites.
Afin de réduire les nuisances ou dégradations mentionnées au premier alinéa et d’améliorer les conditions d’accès au domaine public maritime, il peut, à titre dérogatoire, autoriser le maintien ou la reconstruction d’une partie des équipements ou constructions existants à l’intérieur de la bande des 100 mètres définie par le III de l’article L. 146-4, dès lors que ceux-ci sont de nature à permettre de concilier les objectifs de préservation de l’environnement et d’organisation de la fréquentation touristique.
Les conditions d’application du présent article sont déterminées par décret en Conseil d’Etat.
Ce projet de réhabilitation avait en effet été annulé par le tribunal administratif de Nice, puis par la cour administrative d’appel de Marseille, en application du régime des espaces remarquables.
Cette affaire posait en effet la question de savoir, selon les termes même du commissaire du Gouvernement Mme Mehl-Schouder, « si la Loi Littoral permet véritablement de concilier, d’une part, la protection de l’environnement, d’autre part, le maintien et le développement du tourisme ». La plage de Pampelonne constitue en effet sans contestation possible un espace remarquable, notamment parce qu’elle se trouve dans un site inscrit et comporte des espèces végétales rares justifiant l’insertion de cette zone dans une ZNIEFF. Par ailleurs, les établissements en dur qui avaient été construits par les plagistes au fil du temps ne conféraient pas au site un caractère urbanisé dans la mesure où les 9 000 m2 de surface hors œuvre nette construits étaient éparpillés sur un linéaire de plage très important ne faisant pas perdre son caractère naturel à l’arrière place, et surtout parce que les bâtiments en question avaient été construits sans autorisation régulière.
Le projet de réhabilitation de la plage annulé prévoyait, dans un souci de conciliation de l’environnement et de l’économie touristique, de détruire les établissements anciens, de reconstituer le système dunaire, et d’insérer l’activité touristique déjà présente sur ce site, dans un meilleur respect de l’environnement, grâce à des équipements mieux harmonisés avec ce site. Malgré ces objectifs équilibrés, conciliant véritablement les objectifs de protection et de mise en valeur du littoral, cette autorisation a été annulée.
L’insertion d’un article L. 146-6-1 dans le code de l’urbanisme a donc eu pour objet d’apporter une solution à cette situation. Comme le note M. Jean-Marie Becet dans son ouvrage précité : « On ne peut qu’approuver l’intention, mais pas obligatoirement le texte tel qu’il a été adopté, sans discussion, par le Parlement. Le législateur n’ose pas, comme cela était déjà le cas pour les amendements précédents à la Loi Littoral, dire vraiment les choses et paraître revenir, même faiblement, sur des dispositions qui vont trop dans le sens de la protection. Alors, il multiplie les garde-fous, restreint le plus possible la portée de l’exception qu’il édicte et adopte finalement un texte qui permet peut-être de résoudre le cas précis ayant déclenché le processus mais qui, indiscutablement, complique encore l’application d’une loi déjà difficilement lisible. »
La mise en œuvre de l’article L. 146-6-1 du code de l’urbanisme est effectivement difficile, et il n’a pas, à notre connaissance, eu d’autre application que l’aménagement de la plage de Pampelonne. Mais comme le note avec justesse cet auteur, le Parlement n’a d’autre possibilité que d’apporter des dérogations très encadrées à la Loi Littoral, faute de quoi il sera accusé de vouloir l’annihiler.
Votre rapporteur espère avoir démontré que la Loi Littoral, dont les principes de portée générale ne peuvent qu’être approuvés, a fait l’objet d’une application incomplète par l’administration et biaisée par le juge. Il convient maintenant d’envisager les solutions qui peuvent être apportées à cet état de fait.
1. Redonner aux élus le pouvoir d’élaborer une politique d’aménagement des territoires littoraux
Votre rapporteur a cherché à montrer que les élus locaux ont en quelque sorte perdu le pouvoir d’impulser une politique ambitieuse sur le littoral ; au lieu d’être une zone d’aménagement du territoire, le littoral est devenu le lieu d’une confrontation juridictionnelle entre des intérêts divergents.
Cet état de fait n’est pas une fatalité, comme voudraient le faire croire certains spécialistes. La comparaison entre le littoral et la montagne fait d’ailleurs ressortir que cette dernière zone, qui connaît à peu près les mêmes enjeux en termes de conciliation entre protection de l’environnement et mise en valeur du territoire, connaît moins de problèmes liés à la mise en œuvre de la loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 dite « loi montagne ». Il apparaît que ses dispositions ont pu être mises en œuvre de manière adaptée en fonction des différents massifs, mais aussi que certaines solutions de bon sens ont pu être trouvées en matière d’urbanisme entre les élus locaux, soucieux d’assurer le développement durable de leur territoire, et l’administration désireuse d’assurer une mise en œuvre équilibrée de cette loi.
Ainsi, dans le cadre de la loi n° 2003-590 du 2 juillet 2003 urbanisme et habitat, l’article L. 145-3 du code de l’urbanisme a été modifié à la marge, afin de permettre la restauration ou la reconstruction des bâtiments d’estive, voire leur extension limitée. En outre, le principe de continuité des constructions dans les zones de montagne a été assoupli, afin de préciser que l’urbanisation peut être réalisée en continuité avec les groupes de constructions traditionnelles, et non plus uniquement avec les hameaux, notion qui posait de nombreux problèmes juridiques.
Il est apparu aux membres de la mission que cette capacité à trouver un consensus entre l’administration et les élus locaux a été rendue possible par l’existence d’une structure appropriée d’échange et de dialogue entre les élus de la montagne et l’administration compétente. En effet, le Conseil national de la montagne, créé par l’article 6 de la loi montagne, est composé de députés et de sénateurs, de représentants des communes, des départements et des régions de montagne, mais aussi des chambres consulaires et de diverses fédérations représentant les grands secteurs économiques de la montagne. En outre, le secrétariat de cet organisme est assuré par les conseillers techniques compétents de la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (DATAR), ce qui permet de créer un dialogue très constructif entre l’administration et les forces vives de la montagne.
Il paraît évident qu’une telle structure serait d’une grande utilité pour les zones littorales, afin que la politique élaborée par les ministères compétents ne soit pas coupée de la réalité du terrain. La mission d’information, de même d’ailleurs que le groupe d’études de l’Assemblée nationale relatif au littoral présidé par M. Louis Guédon, recommande donc la création d’un Conseil national du littoral dont la composition et le mode de fonctionnement soit comparable à celui du Conseil national de la montagne.
Cette proposition est d’ailleurs en cours de réalisation, puisque le président du groupe d’études relatif au littoral, M. Louis Guédon, a déposé un amendement portant article additionnel au projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, dont la première lecture a été terminée récemment au Sénat. Sur un modèle tout à fait comparable à ce qui existe pour la montagne, cet article 75 sexies prévoit que le Conseil national du littoral est présidé par le Premier ministre, qu’il possède un rôle de proposition auprès du Gouvernement qui peut le saisir pour avis de tout sujet relatif au littoral, définit les objectifs et précise les actions qu’il juge nécessaires pour l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral, dans une perspective de gestion intégrée des zones côtières.
En outre, il est nécessaire que le Conseil national du littoral permette la mise en œuvre de l’article 41 de la Loi Littoral. Cet article prévoit en effet que le Gouvernement dépose chaque année devant le Parlement un rapport sur l’application de la Loi Littoral, et sur les mesures spécifiques prises en faveur du littoral. Depuis le vote de la Loi Littoral, ce rapport n’a été déposé qu’une seule fois en 1999. En rendant le Conseil national du littoral responsable de la réalisation de ce rapport, il parait clair qu’une nouvelle force de proposition va être créée au bénéfice du littoral français.
Cet article pourrait néanmoins être utilement complété afin de préciser que le Conseil national est consulté sur toute décision politique ou sur tout acte législatif et réglementaire affectant le littoral.
2. Clarifier le rôle de la commission des sites
La Loi Littoral a instauré un large pouvoir de consultation au profit des commissions départementales des sites, perspectives et paysages. Ainsi, l’article L. 146-4-I du code de l’urbanisme prévoit que les constructions liées aux activités agricoles incompatibles avec le voisinage des zones habitées peuvent être autorisées en dehors des espaces proches du rivage, avec l’accord du préfet après avis de la commission départementale des sites. En outre, en l’absence de PLU ou de SCOT, l’urbanisation des espaces proches du rivage peut être réalisée avec l’accord du préfet après motivation de la demande de la commune et avis de la commission départementale des sites. Par ailleurs, la réalisation de constructions nécessaires à des services publics ou à des activités économiques exigeant la proximité immédiate de l’eau dans la bande des 100 mètres est soumise à enquête publique conformément à la loi du 12 juillet 1983. La même remarque peut être faite à propos de la réalisation de travaux ayant pour objet la conservation ou la protection des espaces qualifiés de remarquables au titre de l’article L. 146-6 du code de l’urbanisme.
L’avis de la commission départementale des sites est donc requis dans de très nombreux cas d’application de la Loi Littoral, ce qui est ressenti par de nombreux élus comme une formalité administrative longue et parfois inutile.
Il parait nécessaire de préciser dans ces articles du code de l’urbanisme que l’avis de la commission des sites n’est que consultatif, ce qui a d’ailleurs fait l’objet d’une précision par le Conseil constitutionnel dans une décision du 5 mai 1998. En effet, la Loi Littoral semble lier systématiquement l’autorisation du préfet de département à l’avis de la commission des sites, ce qui semble suggérer qu’il s’agit d’un avis conforme. Il s’agit donc de clarifier la Loi Littoral sur ce point en précisant qu’il s’agit d’un avis consultatif.
Proposition n° 2 : Préciser que l’avis de la commission des sites n’est que consultatif.
En l’état actuel du droit, la commission des sites comprend 6 représentants des services de l’Etat, 3 conseillers généraux, 3 maires et 6 personnalités qualifiées désignées par le préfet dont 2 représentants d’associations agréées, 2 représentants des organisations professionnelles agricoles et sylvicoles, plus éventuellement 5 personnalités qualifiées lorsque la commission siège dans ses formations compétentes en matière de sites et paysages, de protection de la nature, de faune sauvage captive ou de publicité. Les élus locaux n’y disposent par conséquent que d’une voix marginale. Il apparaît nécessaire de modifier sa composition pour renforcer le poids de ces élus.
Proposition n° 3 : Modifier la composition de la commission des sites, afin de renforcer la présence des élus.
Enfin, il apparaît que les associations agrées participant activement à la commission des sites, passent par ailleurs des marchés publics avec l’Etat, les collectivités locales ou leurs établissements publics notamment pour réaliser des études sur les espaces proches du rivage ou sur les espaces remarquables ou toute autre étude environnementale.
Ces études sont ensuite prises en compte dans le cadre de la révision du plan local d’urbanisme ou du schéma de cohérence territoriale. Ces associations, majoritaires dans la commission des sites, demandent ensuite souvent l’annulation des documents d’urbanisme auxquels elles ont participé. Il semble donc nécessaire de prévoir que toute association titulaire d’un marché public de service, par lequel l’Etat ou une collectivité territoriale ou un établissement public lui a confié une étude utile à l’élaboration d’un document d’urbanisme ne peut, ensuite, demander l’annulation de ce document devant le tribunal administratif.
Proposition n° 4 : Éviter que les associations participant à la commission des sites ne puissent être fondées, dans le cadre de l’élaboration d’un PLU ou d’un SCOT, à demander l’annulation de ces documents alors qu’elles y ont participé.
3. Optimiser les délais de jugement
En l’absence de document de planification territoriale, les élus locaux et les citoyens sont mis dans l’obligation d’attendre l’interprétation des notions de la Loi Littoral par le juge. Mais il est difficilement acceptable d’attendre un jugement pendant trois ou quatre années pendant lesquelles la gestion de l’espace communal est totalement paralysée. Les élus sont en effet contraints d’attendre le jugement pour savoir quelle portée donner à une notion de la Loi Littoral avant de l’intégrer dans le PLU ou d’accorder ou refuser une autorisation d’occupation du sol.
Une première solution à ce problème pourrait consister, pour les maires, à saisir le tribunal administratif d’une demande d’interprétation des dispositions de la loi, dès lors que se présente une difficulté d’application. Mais il semble que la juridiction administrative n’ait pas les moyens humains permettant de faire face à ce surcroît de travail. En outre, un éventuel décalage entre l’avis et le jugement au fond risquerait de poser un problème de sécurité juridique.
La mission préfère donc proposer une solution alternative, consistant à prévoir que lorsque le tribunal administratif est saisi d’une requête en annulation d’un document d’urbanisme, celui-ci doit statuer dans un délai raisonnable. La mission entend comme raisonnable un délai qui ne dépasserait pas 6 mois. Un tel délai pourrait également être applicable aux cours administratives d’appel ainsi qu’au Conseil d’Etat, ce qui permettrait d’accélérer la mise en œuvre de la Loi Littoral au niveau local, et donc de sécuriser son application.
1. Décentraliser l’élaboration des DTA sur le littoral
Il est apparu à l’ensemble des membres de la mission que les directives territoriales d’aménagement sont un outil indispensable pour préciser les notions de la Loi Littoral en fonction des circonstances locales. Cette simple interprétation des termes mêmes de la Loi Littoral suffirait à éviter un contentieux abondant, simplement en permettant au citoyen qui fait construire sa maison, au maire qui octroie les permis de construire ou au préfet de savoir clairement ce qui est permis ou interdit par la Loi Littoral.
Le constat d’échec de l’utilisation actuelle des DTA trouve son origine dans une procédure d’élaboration longue et compliquée, dont la haute main revient en définitive aux services centraux des ministères. Afin de relancer l’intérêt des collectivités locales pour cet outil, et de donner pleinement application de la disposition de la Loi Littoral selon laquelle les DTA « peuvent préciser les modalités d’application » des dispositions codifiées de la Loi Littoral, il convient de redonner aux autorités locales le pouvoir d’élaborer les DTA.
A cet égard, le processus d’élaboration des schémas d’aménagement régionaux dans les départements d’outre-mer et en Corse doit être pris en exemple. S’agissant de la Corse, la loi n° 82-629 du 30 juillet 1982 a transféré à cette collectivité les compétences particulières en matière d’aménagement du territoire. La région y est donc compétente pour élaborer et adopter un projet de schéma d’aménagement régional qui doit ensuite être approuvé par décret en Conseil d’Etat. Le décret approuvant le schéma d’aménagement régional de Corse a été pris le 7 février 1992, après avoir été établi en cohérence avec le plan de développement de ce territoire. Ce schéma d’aménagement régional a les mêmes effets que les DTA et contient un chapitre particulier valant schéma de mise en valeur de la mer, permettant de préciser les modalités d’application de la Loi Littoral, ce qui constitue dans cette île l’un des enjeux les plus importants en matière de développement et de protection. Le préfet de Corse n’ayant pu donner son accord au chapitre valant schéma de mise en valeur de la mer contenu dans le projet arrêté par le président du Conseil de l’exécutif en septembre 1997, la collectivité territoriale a décidé de reprendre l’élaboration de ce document.
S’agissant des schémas d’aménagement régionaux d’outre-mer, la loi n° 84-747 du 2 août 1984 a transféré aux régions d’outre-mer des compétences particulières, notamment dans le domaine de l’aménagement. Comme en Corse, la région y est donc compétente pour élaborer et adopter un schéma d’aménagement régional, celui-ci devant ensuite être approuvé par décret en Conseil d’Etat. Ces schémas présentent également l’intérêt de contenir un chapitre valant schéma de mise en valeur de la mer ; en outre, ils ont les mêmes effets que les directives territoriales ; enfin, ils valent schémas d’aménagement et de développement du territoire.
D’après les informations recueillies par la mission, cette procédure d’élaboration a permis, notamment à la Réunion et à la Martinique, de parvenir à un document constituant une référence dans le domaine de l’urbanisme littoral.
La mission recommande par conséquent que les DTA concernant le littoral soient, en métropole, établies selon le même modèle que les schémas d’aménagement régionaux de Corse et des départements d’outre-mer. L’approbation par décret en Conseil d’Etat reste une étape fondamentale dans la mesure où elle permet de s’assurer que la DTA ne sera pas, ensuite, annulée trop vite par le juge administratif. Cette procédure allégée, dans laquelle la responsabilité de la région est accrue, devrait permettre de faire aboutir rapidement le projet, et de fédérer les autorités locales autour d’un projet structurant. En outre, cette procédure accélérée devrait permettre de sortir de la situation actuelle de blocage, en permettant à ces DTA de préciser les notions de la Loi Littoral en fonction des particularités locales.
2. Apporter par le SCOT une réponse globale aux conflits d’utilisation de l’espace littoral
A défaut de directive territoriale d’aménagement, le schéma de cohérence constitue, à une échelle intercommunale, le document de planification territoriale adéquat permettant de préciser les notions de la Loi Littoral en fonction des circonstances locales. Le schéma de cohérence territoriale a en effet été créé par la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbain, afin de gérer de manière décentralisée l’ensemble des contraintes et des conflits d’occupation de l’espace, et notamment des espaces littoraux.
Cet outil permet donc de clarifier, à une échelle pertinente, les notions issues de la Loi Littoral (coupure d’urbanisation, protection des espaces remarquables ou caractéristiques, densité de l’urbanisation notamment dans les espaces proches du rivage). Le nouvel article L. 122-2 du code de l’urbanisme invite d’ailleurs les communes littorales à se regrouper et à se doter d’un SCOT en limitant, en l’absence de ce document, les possibilités d’ouvrir certains espaces à l’urbanisation. Selon les termes employés par un avocat spécialisé en droit du littoral, « le juge sera sans doute sensible, en cas de contentieux, à la prise en considération des prescriptions posées par la Loi Littoral à une échelle pertinente, dans un document intercommunal élaboré en amont des décisions individuelles locales ». La mission estime que, par ce moyen, la planification littorale sera relancée.
La mission d’information recommande par conséquent que les articles du code de l’urbanisme relatif aux SCOT soient plus explicites sur leur vocation à traduire localement les prescriptions de la Loi Littoral. En l’état actuel du droit, l’article L. 111-1-1 du code de l’urbanisme se contente de préciser que les SCOT, en l’absence de DTA, doivent être compatibles avec les dispositions particulières aux zones de montagne et au littoral. En outre, l’article L. 122-1 de ce code, relatif aux fonctions qui doivent être remplies par un SCOT, est muet sur sa vocation éventuelle à préciser les notions de la Loi Littoral. Il serait par conséquent souhaitable que cet article précise qu’en l’absence de DTA, les SCOT comprenant une ou plusieurs communes littorales ou de montagne précisent, pour les territoires concernés, les modalités d’application des dispositions particulières aux zones de montagne et au littoral, de manière adaptée aux circonstances locales. En outre, l’article R. 122-3 du code de l’urbanisme, relatif au contenu du document d’orientation du SCOT, pourrait préciser utilement que ce document prévoit, en zone littorale, l’implantation et l’organisation générale des grands projets d’infrastructures terrestre ou maritime, notamment les projets d’extension ou de création de ports, ainsi que l’étendue des espaces remarquables. Ainsi, la décision de création ou d’extension d’un port de plaisance pourrait relever de l’autorité décentralisée, c'est-à-dire le maire, autant que de l’autorité déconcentrée, c'est-à-dire le préfet, dès lors que le projet de création ou d’extension serait lui-même prévu en amont, dans un document de planification intercommunal, que ce soit une DTA, un SMVM ou un SCOT.
L’article L. 146-1 du code de l’urbanisme prévoit que les dispositions de la Loi Littoral « sont applicables à toute personne publique ou privée pour l’exécution de tous travaux, constructions, défrichements, plantations, installations et travaux divers, (… »). Selon l’analyse de la doctrine, les autorisations individuelles se trouvent donc dans un rapport de conformité avec les dispositions de la Loi Littoral, c'est-à-dire qu’elles doivent les respecter et ne peuvent s’en écarter. Cet article du code de l’urbanisme prévoit en outre que, le cas échéant, ce sont les dispositions des DTA prises pour l’application de la Loi Littoral qui s’appliquent en se substituant à la Loi Littoral. Néanmoins, conformément à l’article L. 111-1-1 de ce code, les documents de planification spatiale tels que les DTA, les SMVM et les SCOT ne doivent être que compatibles avec les dispositions de la Loi Littoral, le législateur ayant considéré que si ces documents ont pour vocation de préciser la loi en fonction des circonstances locales, il est normal qu’existe une certaine marge de manœuvre permettant de prendre en compte les spécificités locales pour l’élaboration de ces documents.
Il y a donc une certaine incohérence à mettre les autorisations individuelles dans un rapport de conformité avec la Loi Littoral, et les documents de planification spatiale dans un rapport de compatibilité plus souple avec cette loi. Cette situation conduit en effet à réduire considérablement les possibilités offertes aux documents de planification spatiale de préciser la Loi Littoral, et réduit considérablement leur intérêt puisque, même en présence d’une DTA ou d’un SCOT, le juge fera application de la Loi Littoral lorsqu’il aura à juger de la légalité d’un permis de construire. Selon l’analyse de la doctrine, ce double rapport hiérarchique est présenté comme une garantie, permettant d’éviter que, de strate en strate, de compatibilité en compatibilité, les documents d’urbanisme ne s’éloignent de la loi. Néanmoins, de nombreux spécialistes ont affirmé devant notre mission d’information que le rapport de compatibilité des DTA et des SCOT avec les dispositions de la Loi Littoral n’avait jamais réellement joué, puisque le juge avait systématiquement sanctionné avec la même rigueur le rapport entre la loi et un document d’urbanisme et le rapport entre la loi et un permis de construire. Certains arrêts ont même tendance à confondre les deux notions.
Afin de redonner une cohérence et une efficacité juridique à la pyramide normative entre les dispositions de la Loi Littoral et les autorisations individuelles, la mission d’information recommande donc que le principe de compatibilité entre les dispositions de la Loi Littoral et les documents d’urbanisme soit réellement mis en œuvre, et que les autorisations individuelles soient mises dans un rapport de conformité avec ces documents lorsqu’ils existent et non avec les dispositions de la Loi Littoral.
Dans son analyse, votre rapporteur a démontré d’une part que l’application de la Loi Littoral générait certains dysfonctionnements graves auxquels il est urgent d’apporter une solution, et d’autre part que l’action de l’administration et du juge n’a ponctuellement pas permis d’aboutir à une mise en œuvre équilibrée de cette loi, et que les délais de cette action avaient été anormalement longs.
Une application et une interprétation plus équilibrée et plus efficace des notions clefs de la Loi Littoral devrait permettre de mettre fin, dans la plupart des cas, aux cas de grippages isolés, mai il n’entre pas dans les pouvoirs du Parlement de faire des injonctions au Gouvernement, ou encore de porter atteinte à l’indépendance de la justice.
Dans le cadre des pouvoirs du Parlement, la mission d’information a donc envisagé certaines modifications très limitées de la Loi Littoral permettant d’apporter une solution à ces dysfonctionnements isolés, afin de mettre fin dans les plus brefs délais aux cas les plus incompréhensibles d’application de la Loi Littoral.
1. Assurer la pérennité des exploitations agricoles dans les communes littorales
Le premier alinéa de l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme prévoit que, dans les communes littorales, l’extension de l’urbanisation doit se réaliser soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l’environnement.
Par dérogation, l’alinéa suivant prévoit que les constructions ou installations liées aux activités agricoles incompatibles avec le voisinage des zones habitées peuvent être autorisées en dehors des espaces proches du rivage.
Outre le fait que cette disposition conduit à faire disparaître ces activités dans les espaces proches du rivage, elle pose également le problème de savoir ce que deviendront les activités agricoles et forestières compatibles avec le voisinage dans le reste du territoire des communes littorales. En effet, les communes littorales ont des territoires très différents, avec parfois une dominante agricole comme la commune d’Hanvec dans le Finistère, dont le linéaire côtier très faible. Dans ces cas précis, il est impossible de délivrer des autorisations d’occuper le sol pour les bâtiments ou installations ne portant pas atteinte au voisinage, sauf à ce qu’ils soient localisés en continuité avec les agglomérations et villages existants, ou éventuellement sous forme de hameaux nouveaux intégrés à l’environnement. Mais cette disposition est sans intérêt pour les exploitants : comment imaginer, en effet, que des serres soient construites en continuité avec une agglomération ?
Dans les communes littorales, la mission d’information préconise donc que les installations ou constructions nécessaires aux activités agricoles, forestières, pastorales ou sylvicoles compatibles avec le voisinage puissent être autorisées, en dehors de la bande des 100 mètres ou des espaces remarquables, à condition que leur localisation soit justifiée par des raisons techniques impératives ou des contraintes résultant de l’exploitation.
Proposition n° 9 : Autoriser les installations ou constructions nécessaires aux activités agricoles, forestières, pastorales ou sylvicoles en discontinuité avec l’urbanisation existante, en dehors de la bande des 100 mètres et des espaces remarquables, lorsque cette localisation est justifiée par des raisons techniques impératives ou des contraintes résultant de l’exploitation.
2. Autoriser la construction de stations d’épuration sans rejet en mer
Au regard des dispositions de la Loi Littoral, les stations d’épuration sont des constructions comme les autres. Néanmoins, l’article L. 146-8 du code de l’urbanisme prévoit que, à titre exceptionnel, les stations d’épuration d’eaux usées avec rejet en mer, non liées à une opération d’urbanisation nouvelle, peuvent être autorisées conjointement par les ministres chargés de l’urbanisme et de l’environnement, par dérogation aux dispositions de la Loi Littoral.
Cette disposition pose plusieurs problèmes : sur le littoral, les stations d’épuration sans rejet en mer devront être construites en continuité avec l’urbanisation existante, ce qui est souvent techniquement impossible. En outre, conformément à l’article 2 de la Loi Littoral, devenue l’article L. 321-2 du code de l’environnement, les communes riveraines d’un plan d’eau intérieur d’une superficie supérieure à 1000 hectares entrent dans le champ d’application de la Loi Littoral. Sur les rives des grands lacs de montagne, il est donc impossible de construire une station d’épuration à proximité du lac. Il faut souvent prévoir sa construction à une distance conséquente des rives, parfois en hauteur dans la montagne, ce qui impose ensuite des travaux d’adduction des eaux usées très coûteuses.
Dans le cadre de la discussion du projet de loi sur le développement des territoires ruraux, un amendement portant article additionnel après l’article 64 prévoit de supprimer les mots « avec rejet en mer » dans le second alinéa de l’article L. 146-8 du code de l’urbanisme.
Cet article règle en grande partie le problème des stations d’épuration sans rejet en mer. Mais la mission recommande que les systèmes publics d’assainissement et les stations d’épuration sans rejet en mer soient, plus simplement, mentionnées dans le premier alinéa de l’article L. 146-8 du code de l’urbanisme, prévoyant que certaines installations – nécessaires à la sécurité maritime et aérienne, à la défense aérienne, au fonctionnement des aérodromes et des services publics portuaires, etc …– ne sont pas soumises aux dispositions de la Loi Littoral lorsque leur localisation répond à une nécessité technique impérative.
3. Autoriser les reconstructions après sinistre dans toute la commune littorale
L’article L. 146-2 du code de l’urbanisme en vigueur prévoit, avec une certaine ambiguïté, que les dispositions de la Loi Littoral relative à la détermination de la capacité d’accueil des espaces urbanisés ou à urbaniser ne fait pas obstacle à la réalisation des opérations de rénovation des quartiers ou de réhabilitation de l’habitat existant. Cependant, le juge a interprété le principe de l’inconstructibilité dans la bande des 100 mètres comme interdisant toute reconstruction, même après un sinistre.
Cette situation n’est pas acceptable pour les citoyens qui, possédant une habitation parfois depuis très longtemps, sont mis dans l’obligation de l’abandonner, par exemple après un incendie.
La mission propose donc d’indiquer clairement dans la Loi Littoral qu’aucune de ses dispositions ne fait obstacle à une opération de reconstruction après sinistre, ou de réhabilitation de l’habitat existant, y compris dans la bande des 100 mètres.
4. Clarifier la portée du principe de l’urbanisation en continuité dans l’ensemble du territoire d’une commune littorale
Le premier alinéa de l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme prévoit que l’extension de l’urbanisation doit se réaliser soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l’environnement.
La notion de hameaux est particulièrement imprécise et donne lieu à un contentieux abondant. En outre, la loi montagne a été modifiée afin de préciser que la notion de hameaux s’entend d’un groupe de constructions. Il est donc souhaitable que cette notion soit aussi corrigée dans la Loi Littoral, afin de la remplacer par celle de « groupe de construction nouveau intégré à l’environnement ».
Le principe de gestion intégrée des zones côtières revient souvent dans les documents politiques relatifs à l’aménagement du littoral. Concept flou, il constitue en quelque sorte la transposition sur le littoral du concept plus général de développement durable.
Rappelons que ce concept a été forgé par différentes organisations
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internationales telles que l’OCDE, la Banque mondiale et la FAO (1. En outre, le chapitre 17 de l’Agenda 21 comporte une partie consacrée à la gestion intégrée et au développement durable des zones côtières et marines.
(1) Voir par exemple : OCDE, Gestion des zones côtières, politiques intégrées, 1993 ; Banque mondiale, Guidelines for integrated costal zone management, 1996 ; FAO, Integrated costal area and agriculture, forestry and fisheries, 1998.
Plus récemment, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne ont adopté, le 30 mai 2002, une recommandation relative à la mise en
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œuvre d’une stratégie de gestion intégrée des zones côtières en Europe (1. Cette recommandation ne propose pas de définition de cette notion, mais précise toutefois qu’il est « essentiel de mettre en œuvre une gestion des zones côtières qui soit écologiquement durable, économiquement équitable, socialement responsable et adaptée aux réalités culturelles, et qui préserve l’intégrité de cette ressource importante », indiquant par ailleurs que la gestion intégrée des zones côtières nécessite « des actions stratégiques coordonnées et concertées au niveau local et régional, orientées et soutenues par un encadrement approprié au niveau national ». On constate donc que cette notion synthétise finalement beaucoup des principes de la Loi Littoral, conciliant protection et mise en valeur, initiative locale et stratégie nationale.
Des principes relativement généraux contenus dans cette recommandation, la mission d’information a déduit deux propositions concrètes permettant de mieux gérer les conflits d’usage existant sur notre littoral en améliorant les processus de concertation entre les différents acteurs de cette partie de notre territoire.
1. Maîtriser la demande foncière au niveau local
La mission d’information fait sienne l’une des propositions de la commission du littoral du Conseil national de l’aménagement et du développement du territoire, formulée depuis déjà près d’une année, selon laquelle il est souhaitable de créer, dans toutes les zones du territoire où les conflits d’occupation du sol littoral sont importants, un opérateur foncier permettant aux collectivités territoriales de maîtriser la demande foncière tout en mettant en œuvre ses projets d’aménagement.
Actuellement, il existe en effet quelques opérateurs fonciers sur le littoral :
(1) Recommandation n° 2002/413/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2002 relative à la mise en œuvre d’une stratégie de gestion intégrée des zones côtières en Europe, JOCE L148/24 du 6 juin 2002
géométriques en Guadeloupe et Martinique ont en outre pour objet de gérer le littoral de ces territoires en fonction des spécificités d’outre-mer.
Les moyens d’action de ces établissements publics fonciers sont importants. Ils leur permettent notamment de réaliser des programmes d’action foncière visant à préserver les ressources du littoral concerné, ou à réhabiliter des logements dégradés. Ils peuvent acquérir des biens pour leur propre compte ou pour le compte des collectivités locales, par voie amiable ou éventuellement par voie d’expropriation dans le cadre d’une déclaration d’utilité publique. Ils peuvent également intervenir par le biais d’études techniques permettant aux collectivités locales de réaliser un projet.
Rappelons en outre que ces établissements bénéficient de moyens financiers importants, provenant de subventions de l’Etat, d’une ressource fiscale spécifique – la taxe spéciale d’équipement -, éventuellement d’emprunts ou du produit de la vente et de la gestion de ses biens.
Ces établissements, qui sont créés par décret en Conseil d’Etat, après avis des conseils généraux et des conseils municipaux des collectivités incluses dans sa zone d’activité territoriale, constituent aux yeux de la mission d’information un outil important de gestion intégrée des zones côtières française. Ils permettent de concilier protection de l’environnement et aménagement du territoire, en impliquant au maximum les collectivités locales et leurs élus dans la gestion du territoire concerné.
La mission d’information recommande par conséquent que ces établissements soient généralisés, afin de permettre une gestion optimale de nos ressources littorales dans toutes les zones du territoire où des conflits d’usage peuvent apparaître. Ces établissements pourraient ainsi à la fois promouvoir le logement social et saisonnier, encadrer le développement de l’habitat léger de loisir tels que les campings et les mobiles homes afin que les atteintes à l’environnement soient le plus limité, donner aux collectivités locales l’outil juridique leur permettant de résorber les constructions illégales dans les espaces proches du rivage, et associer les collectivités locales à l’élaboration d’une politique de sauvegarde des espaces naturels.
2. Renouveler la gouvernance du littoral
Conformément à la recommandation du 30 juin 2002 précitée, la mise en œuvre du principe de gestion intégrée des zones côtières implique notamment :
Afin de prendre en compte cette recommandation communautaire, et consciente du fait que toutes les forces vives locales doivent être associées et coordonnées dans le cadre de la gestion intégrée des zones côtières, la mission d’information souhaite que soit développée, sur notre littoral, la création de « pays » associant tous les acteurs locaux, afin que les points de vue puissent être confrontés, et qu’un consensus se dégage en faveur d’une politique rassemblant les différents intérêts présents sur le littoral.
Rappelons que les pays ont été institués par l’article 22 de la loi n° 95-115 du 4 février 1995, modifié en 1999 par la loi Voynet, disposant que « lorsqu’un territoire présente une cohésion géographique, culturelle, économique ou sociale, il peut être reconnu à l’initiative de communes ou de leurs groupements comme ayant vocation à former un pays ». La création d’un pays suppose dans un premier temps la définition d’un périmètre d’étude, puis l’élaboration d’une charte en vue de laquelle sera mené un travail de concertation entre les différents acteurs locaux. Le périmètre d’un pays est ensuite arrêté par le préfet de région compétent, ou les préfets de région lorsque ces pays sont situés sur plusieurs régions.
Cette politique contractuelle est financée par le volet territorial des contrats de plan qui doit mobiliser 30 % des crédits de l’Etat et des régions, soit 10,67 milliards d’euros sur la période 2000-2006. En 2003, 320 pays avaient été repertoriés comme constitués, en cours de constitution ou en projet.
La mission estime qu’il est important que les crédits disponibles au titre de l’aménagement du territoire soient mobilisés sur le littoral. A cet effet, il est important que les élus locaux initient une démarche permettant d’aboutir à la création de pays littoraux, dont la mission serait de gérer les questions, souvent très délicates, de l’aménagement du territoire littoral, en mobilisant les crédits disponibles à cet effet.
Lors de sa réunion du 21 juillet 2004, la Commission a examiné le rapport d’information de M. Jacques Le Guen sur l’application de la Loi Littoral.
A titre préliminaire, M. Léonce Deprez, président de la mission d’information, a tenu à remercier le président Patrick Ollier de lui avoir permis de présider cette mission d’information, en précisant que le rapport définitif serait disponible avant la fin de la semaine.
Il a tenu à rappeler qu’en dépit de certains articles parus récemment dans la presse, la mission d’information avait travaillé en cherchant à préserver l’esprit d’une loi votée par le Parlement à l’unanimité, établissant un consensus de tous les députés sur la nécessité de concilier aménagement, protection et mise en valeur.
Il a précisé que, près de 18 ans après le vote de la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral, le consensus était toujours aussi fort, mais que les membres de cette mission, ainsi d’ailleurs que ceux du groupe d’études de l’Assemblée nationale sur le littoral, estimaient nécessaire de revenir à l’esprit et à la lettre de la loi, dans la mesure où son application a été à la fois incomplète et biaisée.
Curieusement, a-t-il indiqué, l’application de la Loi Littoral a posé moins de problèmes en outre-mer, dans la mesure où la déconcentration de l’élaboration des schémas d’aménagements régionaux avait permis d’y créer un dialogue fructueux avec les élus locaux.
Il a rappelé qu’à l’initiative du président Patrick Ollier, certaines mesures spécifiques avaient été prises en faveur de la montagne, et qu’il était désormais nécessaire d’envisager celles qui pourraient relancer la politique d’aménagement de nos territoires littoraux.
Il a estimé qu’il était nécessaire de communiquer cette volonté politique au Gouvernement, rappelant que les élus du peuple ne pouvaient, dans une démocratie, être dessaisis de leur pouvoir d’élaboration des normes législatives et de traduction de l’intérêt général. S’agissant de l’application de la Loi Littoral, il a estimé que les élus avaient précisément perdu ces deux fonctions au profit de l’administration et du juge. Il a conclu en indiquant que les outils juridiques permettant une application équilibrée de cette loi existaient, comme par exemple les schémas de cohérence territoriale (SCOT) ou les directives territoriales d’aménagement (DTA). Il a précisé qu’il fallait unifier ces documents pour permettre une application efficace de la Loi Littoral.
Après l’exposé du rapporteur, M. Patrick Ollier, président, a estimé que la deuxième lecture du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux serait l’occasion d’intégrer, par voie d’amendements qui seront soutenus par la Commission, les propositions de la mission d’information de nature législative comme cela avait été le cas, en première lecture, s’agissant des propositions de la mission d’information de la Commission sur les améliorations pouvant être apportées au droit applicable dans les zones de montagne.
Mme Arlette Franco, s’exprimant au nom du groupe UMP, a salué le travail du président et du rapporteur de la mission d’information.
Puis, elle a regretté que l’application de la Loi Littoral ait conduit à privilégier la protection de l’environnement sur l’aménagement et la mise en valeur du littoral. Elle a ainsi souligné le caractère excessivement rigoureux de son interprétation, conduisant, par exemple, à interdire la construction sur des terres agricoles de petits cabanons destinés à l’entreposage d’outils, compliquant ainsi considérablement la vie quotidienne des exploitants agricoles concernés. Elle a également rappelé les difficultés rencontrées dans les zones soumises à la fois à la Loi Littoral et à la loi montagne.
Elle a ensuite estimé que la mission d’information formulait des propositions importantes, notamment en préconisant la création d’un Conseil national du littoral, ainsi qu’une modification de la procédure d’élaboration des DTA et des SMVM inspiré de celle des schémas d’aménagement régionaux existant en en Corse et en Outre-mer.
Elle a également salué les propositions tendant à rendre la loi plus efficace, à garantir une meilleure prise en compte de l’impératif d’aménagement du territoire littoral et à clarifier l’interprétation de ses dispositions. Sur ce point, elle a notamment souligné les divergences d’appréciation relatives à la notion de plus hautes eaux sur la base de laquelle est appréciée l’inconstructibilité dans la bande des cent mètres, puisque cette notion peut avoir une portée différente selon l’ampleur des marées. Elle s’est également déclarée surprise qu’une course motocycliste comme l’Enduro du Touquet soit possible dans cette commune et qu’une compétition similaire soit jugée illégale au regard de la Loi Littoral sur le territoire de la commune du Canet-en-Rousillon.
Elle a conclu en indiquant que le groupe UMP était très favorable à l’adoption du rapport de la mission d’information et qu’il souhaitait, en outre, une traduction rapide des propositions présentant un caractère législatif.
M. Louis Guedon a également salué le travail du président et du rapporteur de la mission d’information et s’est félicité de la qualité de la collaboration entre la mission d’information et le groupe d’études sur le littoral qu’il préside.
Après avoir rappelé le succès de la création du Conseil national du littoral, grâce à un amendement dont il était l’auteur, il a souligné le fait que les membres de la mission d’information connaissaient les mêmes difficultés et partageaient le même souci de faire évoluer le droit, quelle que soit leur façade maritime d’origine.
Il a ensuite espéré que la publication du rapport d’information permettrait aux députés de l’Assemblée nationale et plus généralement à la Nation de prendre conscience du fait que la France est loin d’avoir le développement maritime auquel elle peut prétendre compte tenu de l’importance de son littoral.
Après avoir rappelé que la flotte française était passé du 4ème rang mondial en 1945 au 28ème rang actuellement, il a estimé que les richesses maritimes étaient très insuffisamment exploitées et que des progrès importants étaient possibles dans les domaines de la qualité des eaux, de la promotion de la conchyliculture et de la mytiliculture, de la protection et de l’exploitation de la biomasse et des ressources halieutiques, du développement de l’urbanisme ou encore de l’amélioration de la protection des sédiments, des littoraux, des dunes, de la forêt maritime ou des marais.
Puis, il s’est félicité que la mission ait souligné l’application partiale et partielle de la Loi Littoral par des administrations et des juges dépourvus de toute culture maritime, et faisant preuve, en outre, d’un manque de considération certain à l’égard des représentants du peuple.
Mme Hélène Tanguy s’est associée aux félicitations adressées au président et au rapporteur de la mission d’information.
Estimant urgent d’apporter des solutions aux problèmes rencontrés dans les zones littorales, elle a d’abord souligné les difficultés rencontrées par les exploitants agricoles du fait de l’application de la Loi Littoral ; elle a en effet indiqué que cette application entravait le développement et la modernisation de leurs exploitations, par exemple en empêchant la création de stations de traitement des eaux qui seraient pourtant utiles à la protection de l’environnement.
Elle a également évoqué l’exemple d’une personne souhaitant cesser son activité agricole et empêchée de réaliser les modestes travaux nécessaires à la transformation d’un hangar agricole en crêperie, de sorte que ce bâtiment risque d’être laissé à l’abandon.
Elle a ensuite souligné le caractère ubuesque de l’extension donnée à la notion d’espace remarquable, par exemple à des terrains défigurés par un blockhaus.
Elle a souligné que la difficulté fondamentale était de concilier la protection de l’environnement et la préoccupation de développement. A cet égard, elle a jugé que si le Conservatoire du littoral conduisait une action utile, les terrains qu’il acquérait étaient ensuite rendus intouchables, sans que parfois de petites communes ne soient en mesure d’en assurer l’entretien.
Enfin, elle a regretté les divergences d’appréciation existant entre juridictions sur les mêmes questions. Jugeant très pertinente l’idée de renforcer le rôle des élus, notamment grâce à la création d’un Conseil national du littoral, elle a souligné la nécessité de bénéficier d’une vue d’ensemble de la politique du littoral, qui est aujourd’hui prise en charge par de nombreuses administrations.
Après avoir remercié la mission d’information pour la qualité de son travail et le président Patrick Ollier pour son soutien, M. Jean-Michel Couve est revenu sur l’incurie de l’administration et sur l’immixtion du juge administratif dans l’application de la Loi Littoral.
En effet, il a rappelé que l’administration centrale n’avait publié les premiers décrets d’application de la loi qu’en septembre 1989, tandis que les administrations départementales n’ont ensuite pas voulu mettre en œuvre le volet aménagement et mise en valeur de la loi de 1986 par le biais des SMVM. Il a estimé que ces délais avaient offert au juge administratif la possibilité d’interpréter seul la loi, se fondant uniquement sur les dispositions relatives à la protection du littoral.
Il a indiqué que le SMVM était un bon outil, à condition d’être utilisé efficacement. Pour ce faire, il a estimé qu’il ne fallait pas que ce schéma connaisse le même travers que le SCOT, dont la vocation d’outil de mise en œuvre de projets a été ramenée à un simple document d’orientation depuis la loi « urbanisme et habitat ». De même, il a estimé qu’il fallait mettre en œuvre le SMVM sur un périmètre territorial comparable à celui du SCOT. Enfin, la procédure d’élaboration du SMVM devrait être allégée dans sa phase administrative – la procédure du décret en Conseil d’Etat étant de ce point de vue bien trop lourde –, et donner plus de poids aux élus locaux.
S’agissant des suites à donner à ce rapport, M. Jean-Michel Couve a mis en garde la Commission contre la tentation de procéder à des modifications de la Loi Littoral. Il a rappelé que les dispositions relatives aux espaces remarquables avaient déjà été précisées, mais que l’administration n’avait publié aucun décret d’application de cette mesure et comptait n’en publier aucun à brève échéance. Il a également jugé que toute modification de la Loi Littoral susciterait les plus vives réactions de la part des associations écologistes. Aussi a-t-il appelé de ses vœux une volonté politique forte pour faire émerger, préciser et quelque peu corriger le dispositif de 1986 dans le respect de son esprit d’origine.
Remerciant elle aussi la mission pour la qualité de ses travaux, Mme Josiane Boyce a rappelé combien la Loi Littoral pouvait aider un maire élaborant son plan d’occupation des sols à faire face à un certain nombre de pressions. Ce faisant, elle a énuméré quelques problèmes rencontrés dans ses fonctions de maire en demandant au rapporteur des précisions :
La Commission a ensuite autorisé à l’unanimité la publication du rapport d’information, en application de l’article 145 du règlement et dans les conditions prévues à l’article premier de l’instruction générale du Bureau.
La mission d’information a procédé, lors de ses travaux, à l’audition de nombreuses personnalités. Votre rapporteur souhaite les remercier pour leurs contributions intéressantes et pour l’esprit de collaboration dont elles ont fait preuve.
Auditions complémentaires réalisées par le groupe d’études de
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l’Assemblée nationale relatif au littoral (1:
(1) Certaines auditions, qui auraient été utiles pour la présente mission d’information, ayant été prévues de longue date par le groupe d’études de l’Assemblée nationale relatif au littoral, votre rapporteur a estimé qu’il était inutile de convoquer la même personne deux fois. Néanmoins, M. Léonce Deprez, président de la présente mission d’information, et également membre du groupe d’études, a assisté à ces auditions, qui ont été utilisées pour la rédaction du présent rapport.
Votre rapporteur tient par ailleurs à remercier Mme Christine Bouyer, de la DATAR, et M. Sébastien Colas, de l’Institut français de l’Environnement, pour les informations très précieuses qu’ils ont transmises à la mission d’information, que votre rapporteur a largement utilisées dans le cadre de la rédaction du présent rapport.
N° 1740 – Rapport d’information sur l’application de la loi lllittoral (M. Jacques Le Guen)